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France et l’Angleterre se sont interposées pour arrêter l’effusion du sang ; mais leur tâche doit-elle se borner là ? Ces deux puissances paraissent décidées à intervenir directement pour régler d’une façon définitive les prétentions respectives des deux parties : en ont-elles le droit ? Jusqu’à quel point cette prétention peut-elle être justifiée ? Quelles sont les bases sur lesquelles devra s’appuyer leur médiation ? C’est ce qu’il convient d’examiner, après avoir sommairement rappelé les faits qui ont nécessité la démarche accomplie sur les lieux par les représentans des deux gouvernemens.

C’est le 29 août que l’expédition napolitaine a mis à la voile ; elle se composait de deux frégates et de vingt bâtimens à vapeur, portant ensemble quatorze mille hommes. Le 31, elle était à l’ancre à Reggio, au sud de Messine, et la nouvelle en arrivait le même jour à Palerme. Cette annonce a-t-elle pris au dépourvu le gouvernement sicilien ? Il serait difficile de le décider. Les préparatifs faits depuis plusieurs mois par le roi de Naples ne pouvaient être un mystère pour personne ; on ne pouvait les ignorer à une si petite distance que celle qui sépare les deux capitales. Toutefois il semblerait que les Siciliens se soient trop complètement endormis sur l’assurance que les escadres française et anglaise ne laisseraient en aucun cas les forces napolitaines sortir de la baie de Naples ; mais c’était supposer un blocus qui n’existait pas. On avait fini par croire dans l’île que le roi de Naples ajournait au moins pour quelque temps ses projets contre la Sicile, et les ministres eux-mêmes en avaient donné l’assurance en plein parlement cinq ou six jours auparavant. Cette sécurité était probablement partagée par l’amiral Parker, car cet officier annonçait, le 23 août, au commandant du Gladiator, en station devant Messine, qu’avant deux ou trois semaines il pourrait rallier l’escadre, l’intervention diplomatique de la France et de l’Angleterre en Italie rendant désormais inutile la présence de forces navales dans ces parages. Il y a lieu de s’étonner de cet excès de confiance, au moins de la part des légations étrangères.

L’arrivée inopinée de l’escadre napolitaine devant Messine, au lieu d’abattre les Siciliens, fit au contraire sur eux l’effet d’une commotion électrique et surexcita au plus haut point leur ardeur et leur haine contre le nom napolitain. Tout se fait à grand bruit et avec exagération en Sicile, comme dans le reste de l’Italie. Le ministre des affaires étrangères, apportant ses dépêches, dit au parlement assemblé : Nous venons, messieurs, vous annoncer une heureuse nouvelle… Des cris de guerre, des applaudissemens et des hourras partirent aussitôt de tous les bancs et de toutes les tribunes ; puis la chambre, avec une majesté digne du sénat de Rome, passa dédaigneusement à l’ordre du jour. Le soir, Palerme se couvrait d’illuminations, comme en un jour de fête ; le peuple, répandu dans les rues et sur le port, célébrait l’heureuse nouvelle par des hymnes guerriers et des chants patriotiques mêlés d’imprécations contre le roi Bomba : c’est le surnom qu’ils ont donné, comme on sait, à Ferdinand. Ils lui en ont donné bien d’autres. Le riche dialecte de Sicile et le vocabulaire emphatique des publicistes de ce pays ont, depuis un an, épuisé tous leurs diminutifs et toutes leurs formules à l’endroit du Borbone, Borbonaccio, Borboncino, de ce « tyran féroce « comme Néron, fou comme Caligula, lazzarone couronné, oppresseur des peuples, traître aux princes italiens, ennemi de toute civilisation, de tout progrès, et race abhorrée et maudite…, issue d’un lion et d’un tigre…, qui se repaît d’or et