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me mettre à ma place en pensant que je ne peux fixer des sentimens bien particuliers dans le cœur d’une personne qui m’accorde peut-être quelque estime, mais que tout empêche de laisser pénétrer en elle une impression qu’il faudrait d’autres mérites et d’autres qualités que celles que je puis avoir pour faire naître. »

Au mois de mai de la même année 1833, il revient encore sur ces tristes pensées qu’il n’a pu arracher de son cœur : « Vous avez bien voulu sympathiser avec une faiblesse que je n’ai pas craint de vous découvrir. Je ne sais si cet aveu ne déposera pas trop cruellement à vos yeux de mon imprudence ; mais voilà le résultat de la peine que j’ai éprouvée en voyant une femme dans une affliction profonde. Sa sensibilité m’a ému ; ses vertus ensuite ont augmenté cet intérêt que je pensais n’être d’abord que naturel. J’aurais besoin de vous en dire davantage pour que vous pussiez comprendre que je suis peut-être excusable. Quoi qu’il en soit, c’est un rêve bien glorieux !

« J’ai lu et relu votre dernière lettre, qui m’a été si bonne ; je la relirai encore, car je ne peux me dissimuler que c’est la raison la plus convaincante pour opérer sur mon esprit. C’est donc à vous que je devrai un état plus calme. Quelle sensibilité profonde je trouve dans tout ce que vous me dites ! Et qui pourrais-je croire plus que vous, qui voulez bien, non-seulement excuser une faiblesse que je condamne, mais encore ni aider de conseils pour ramener mon imagination dans la route qu’elle n’aurait pas dû abandonner ? Comme je vous l’ai dit dans ma dernière, il me faudrait autre chose que la plume pour faire comprendre toute ma situation. Il m’est arrivé ce qui a demandé bien des sacrifices, et ici, en Italie, je sens que je suis toujours en danger par le besoin que j’ai de m’attacher, et par l’impossibilité où je suis de le faire de façon à satisfaire à la fois la raison, les convenances et, je le dirai, mon cœur. Malheureusement pour moi, en Italie, je n’ai jamais eu de rapports qu’avec des personnes dont la situation et l’existence si différentes de la mienne auraient dû me tenir toujours en garde contre des sentimens qui exigent bien d’autres rapports. On se laisse entraîner par je ne sais quel charme trompeur qui ne vous lègue, en s’évanouissant, qu’ennuis et dégoût de la vie. Ma peinture, qui peut encore tant m’occuper, fait une diversion à cet état si pénible, et je dois encore m’envisager heureux de sentir ma passion pour mon état, loin de diminuer, prendre chaque jour plus de mes idées et de mon temps. Pourtant il me semble que ce n’est qu’une fièvre qui peut passer, et je me dispose à me ménager quelques forces pour le moment où cette ardeur se préparera à me priver d’énergie en me quittant. »

C’est encore de Venise qu’il écrit : « Je viens de relire votre chère lettre, et j’y vois un endroit auquel je n’ai pas répondu encore comme votre affection le demande. Vous voulez me dire que vous n’osez plus