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ne reste point froide. Oui, monsieur, je vous le répète, et je mentirais si je disais le contraire : je ne puis penser à Florence sans émotion. La raison, le devoir, le caractère de mon attachement, peut-être, ne permettent pas à une tristesse violente de s’emparer de moi, tout au plus à une mélancolie qui ne peut nuire à mes occupations. Une inclination qui n’a pour base que les sens tourmente et abaisse ; celle qui ne s’attache qu’à la beauté de l’ame, à la bonté du cœur, au charme de l’esprit, ne peut qu’élever. J’ai pu m’exagérer l’opinion d’Odier sur ces dames, mais ses lettres ne tarissent pas en éloges sur la mère et sur la princesse C… Vertus, naïveté, simplicité, tout est là ! J’avais eu souvent l’occasion de parler de cette famille avec lui pendant qu’il était ici, sans lui donner aucune idée de mes sentimens (je sais les renfermer). Il ne pensait pas alors des Bonaparte comme il en parle aujourd’hui. J’avoue même que j’avais été plusieurs fois blessé de l’opinion qu’il émettait sur les membres de cette famille, et c’est surtout afin qu’il eût l’occasion de se détromper que je lui ai remis pour ces dames une lettre dont il ne voulait pas se charger. J’étais sûr qu’il m’en remercierait ensuite. Ce que je vous en dis est pour vous faire apprécier le charme de cette maison. Je ne puis pas parler du caractère d’attachement qu’on me conserve : mais ce que je puis dire, c’est que, dans tous les cas, je ne me sens pas capable de rompre des relations qui me sont chères. A une époque bien malheureuse pour la famille, j’ai montré du dévouement qu’on a apprécié ; rompre sans motif qui puisse être su, je crois qu’on en ressentirait de la peine, éprouvant de la reconnaissance envers moi. J’aime mieux que le temps amortisse une inclination que vous voyez beaucoup trop ardente, et la transforme en amitié. Je dirai plus, je n’aurais point fait mon tableau, si mon cœur n’eût été plein d’affections. Elles sont pour moi, dans la vie, les degrés qui me font monter. Ce sont elles qui ont donné à mon énergie un ressort qu’elle ne pouvait avoir sans elles. Si la religion condamne les passions qui conduisent au vice, défend-elle les penchans qui en éloignent ? Oui, de quelque nature que ces penchans puissent être, tous ceux qui font aimer le bien doivent être considérés comme un bien… »


XI

Le cœur ne tend pas moins de piéges aux hommes par leurs vertus que par leurs vices. Le pauvre artiste dont l’ame s’était amollie aux tendresses de la famille durant sa jeunesse, qui entourait son frère Aurèle d’une affection si paternelle, qui ne pouvait penser à la Chaux-de-Fonds sans que les larmes lui remplissent les yeux ; lui qui aimait tant la simplicité et qui s’écriait avec le bon Ducis : « Oh ! que toutes ces pauvres maisons bourgeoises rient à mon cœur ! » s’était trouvé par la destinée jeté dans une sphère qui n’était point la sienne. La solitude porte