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délire, comme le retour du délire à la raison, ne soit précédé que d’obscures influences ! Ce fut peut-être, chez Robert comme chez nombre de mélancoliques, la cause la plus futile et la plus insignifiante ; ce fut peut-être une lésion soudaine des forces vitales du cerveau, une de ces hallucinations qui poussent invinciblement à se soustraire à des souffrances imaginaires ou réelles.

Ses obsèques eurent lieu sans pompe. Son corps, placé dans une gondole, escorté par son frère, par ses amis et par les artistes nationaux et étrangers qui se trouvaient à Venise, a été descendu, arrosé des larmes de tous, à Saint-Christophe, petite île des lagunes, qui, sous la garde des religieux du couvent de Saint-Michel de Murano, sert de cimetière à la grande ville[1]. Une simple pierre, encastrée dans le mur lézardé du cimetière, en face de la tombe, porte, avec la date de sa naissance et de sa mort, ces simples mots :

À LÉOPOLD ROBERT, SES AMIS ET COMPATRIOTES.

Sur les bords de l’Arno, à Florence, dans l’église de Santo-Spirito, non loin du palais Serristori, autrefois l’habitation de la jeune princesse Charlotte, s’élève une chapelle funèbre, qu’elle a construite pour y déposer son mari. C’est là qu’en 1839 elle est venue dormir à ses côtés du dernier sommeil[2] ; mais, avant de le rejoindre, la princesse avait plus d’une fois donné des pleurs amers au souvenir du grand artiste, de l’homme de bien dont le sentiment de famille était si délicat et si profond, dont la journée avait été si rude, dont les défauts même étaient si touchans ! Malheureux Léopold ! tes sueurs et tes larmes avaient trop baigné le livre de ta vie pour ne pas effacer le sang de la dernière page !


F. FEUILLET DE CONCHES.


P. S. Le catalogue de l’œuvre d’un peintre est le complément naturel de l’histoire de sa vie. Personne n’avait encore dressé une liste complète des tableaux de Léopold Robert : nous avons cru devoir prendre ce soin ingrat, mais utile, n’ayant eu l’occasion de citer, dans

  1. Saint-Christophe et l’île du couvent sont sur la route de Venise à la petite ville de Murano, où l’on fabrique les glaces, les perles, les verroteries, qui font, depuis des siècles, la célébrité de Venise. L’île de Saint-Christophe est de toutes parts enceinte de murailles pour fermer le cimetière, qui ne s’ouvre aux visiteurs que le dimanche. Un petit enclos, à l’un des angles, est réservé pour la sépulture de ceux qui ne professent pas le culte catholique, les Juifs exceptés, qui sont enterrés au Lido, petite île du bassin de Venise, autrement dit les Lagunes.
  2. La princesse, se rendant de Florence à Gènes pour sa santé, est morte des suites d’une hémorragie, à Sarzane, en avril 1839.