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La civilisation occidentale ne peut avancer ou reculer d’un pas en Asie sans affecter plus ou moins sérieusement la situation des principaux états de l’Europe. Qui ne voit que, de nos jours surtout, la politique des puissances européennes est influencée directement ou indirectement par des considérations qui se rattachent à l’avenir des régions intertropicales, dans l’Orient en particulier ? Comment séparer les intérêts, l’existence même de la Grande-Bretagne de la prospérité de ses colonies ? Qu’est-ce que l’Espagne sans Cuba et sans les Philippines, la Hollande sans Java et l’archipel oriental ? Pourquoi la France, enfin, a-t-elle payé de tant de sang et de trésors la propriété de l’Algérie ? — Jeter de nouvelles bases pour le développement du commerce, lui ouvrir de nouveaux débouchés, alimenter par l’extension et le perfectionnement de l’agriculture et de l’industrie les besoins croissans de l’exportation ; encourager l’immigration, la colonisation, sur tous les points du globe où le climat et le sol promettent une existence heureuse au travail intelligent, voilà le but que se proposent les grandes nations de l’Occident. Les explorations hardies des navigateurs, les tentatives et les efforts plus ou moins heureux enregistrés dans ces derniers temps par l’histoire politique et commerciale du monde, tout accuse la même pensée, tout exprime le même fait : la tendance constante de l’Europe à fortifier, à resserrer de plus en plus les liens qui l’unissent aux nations asiatiques, à leur imposer son influence réformatrice et sa domination commerciale.

Déjà nous avons pu constater les résultats obtenus par la civilisation occidentale sur un des plus vastes théâtres où son action se soit exercée : l’Inde anglaise[1] Aujourd’hui nous voudrions continuer cette étude sur une scène plus restreinte, mais non moins curieuse, les possessions néerlandaises des mers de l’Est. Un long séjour parmi les peuples de l’archipel d’Asie nous a permis d’apprécier nettement tous les obstacles qu’avait eus à vaincre et que rencontrait encore la puissance hollandaise dans cette partie du monde. Ici comme dans l’Inde anglaise, on est frappé d’abord du contraste que présentent la nation conquérante et les nations conquises. D’une part se montrent une activité infatigable, un élan continu vers le progrès ; de l’autre, une résistance passive, mais obstinée. Plus on recule vers les extrémités de l’Asie, plus ce contraste se dessine vivement.

Dans l’Inde hollandaise comme dans l’Inde britannique, comme dans les Indes espagnoles, les gouvernemens qui représentent l’Europe sont avant tout des gouvernemens mixtes, forcés de ménager les croyances locales, les habitudes séculaires, les préjugés antiques. Ils ont réussi, grace

  1. Voyez les livraisons du 1er janvier, du 15 février, du 15 mars, du 15 mai 1840, et du 15 avril 1841.