Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/424

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moindres princes. Tous les yeux étaient donc ouverts, toutes les oreilles tendues, mais tous les cœurs n’étaient point amis ; il s’en fallait de beaucoup. Parmi les plus hauts personnages du royaume, au sein même de la famille royale, il ne manquait point d’intrépides détracteurs du régime nouveau de la France, d’obstinés ennemis des idées du siècle, prêts, si l’occasion leur en était offerte, à donner carrière à leur antipathie. Cependant la bonhomie allemande se laissa tout d’abord gagner par la jeunesse des illustres voyageurs. Leur amabilité, mêlée d’abandon et de retenue, ramena jusqu’aux moins bien disposés. La noble aisance des manières du duc d’Orléans et la précoce solidité de son esprit firent une vive impression sur le roi de Prusse. Il combla son hôte des prévenances les plus recherchées pendant son séjour à Berlin, et lui prodigua, au départ, les conseils les plus amicaux. Le brillant jeune homme avait charmé le bienveillant vieillard. Tant de grace s’attache à la jeunesse heureuse ! La fortune ne parait-elle pas alors de tous ses dons celui dont elle a plus tard si cruellement tranché la destinée ? Les effets de l’engouement paternel du roi de Prusse pour le duc d’Orléans ne tardèrent pas à se produire. Un jour, c’était au commencement de 1837, il fit venir auprès de lui M. Bresson. « Vous connaissez, lui dit-il, mon affection pour votre prince royal ; pourquoi ne se marie-t-il pas ? J’ai souvent pensé aux conséquences de son établissement. Elles peuvent être considérables pour la France et pour l’Europe. Croyez-moi, il faut qu’il épouse une Allemande, et, parmi les princesses d’Allemagne, il n’y en a qu’une seule digne de lui, et, par bonheur, elle est ma parente. » Il nomma aussitôt la princesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin. M. Bresson accueillit avec empressement cette ouverture. Il s’informa des moyens de traiter avec la cour de Mecklembourg. « Ne vous en embarrassez pas, répondit le roi. Transmettez mes propositions à votre souverain ; une fois d’accord, je me chargerai de la conduite de cette affaire ; il n’y aura pas de difficultés. » Le vieux roi se trompait en ceci. Quand ses intentions furent connues, quand arriva l’adhésion de la famille royale de France, et bien avant que le mystère de ce projet d’alliance eût transpiré dans le monde diplomatique, une opposition formidable se forma dans son cercle le plus intime et parmi ses plus proches parens. Pour apprécier le degré de volonté que le roi Guillaume III dut déployer en cette occasion, il faut savoir combien l’ancien esprit de famille était resté puissant dans cet intérieur patriarcal, combien les liens du sang et de l’amitié avaient d’empire sur le cœur de ce monarque excellent. Il avait graduellement amené l’un des personnages les plus considérables de sa cour et des plus avant dans ses confidences, le comte de Lottum, à partager ses vues sur la convenance d’un rapprochement avec la France ; il employait à négocier les préliminaires du mariage projeté le prince de Wittgenstein, son ami d’enfance, qui, par son caractère, sa position et son crédit, occupait une