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haute position dans l’état : homme sage et conciliant, vivant sur un pied d’intimité étroite avec tous les membres de la famille royale, avec tous les dépositaires du pouvoir, intervenant souvent entre les ministres et la couronne, quelquefois même entre le roi et ses enfans, réparant bien des fautes, amortissant bien des chocs, exerçant dans les régions supérieures une salutaire influence.

A la tête des opposans les plus actifs se trouvait le duc Charles de Mecklembourg, commandant des gardes, beau-frère de la feue reine de Prusse, cher au roi par le culte qu’il avait gardé pour la mémoire de cette princesse et par les souvenirs de leur commune jeunesse. Derrière lui était le duc régnant Charles de Mecklembourg-Strelitz, chef de la maison de Mecklembourg et de la faction qui, à Berlin, faisait profession de maudire bien haut la révolution de juillet et la dynastie qu’elle s’était donnée. Ce fut ce dernier qui, poussé par ses passions et stimulé sous main par la Russie, s’adressa par écrit au prince de Wittgenstein pour le supplier d’empêcher le mariage. Le prince de Wittgenstein répondit par une lettre confidentielle où il développa les nombreux motifs qui devaient, au contraire, le porter à conseiller l’union projetée. Peu de temps après, à la surprise, et nous devons même dire au scandale général, parut un écrit lithographié, tiré à quarante exemplaires, et qui fut jeté de nuit sous les portes cochères des principaux fonctionnaires publics et des grands dignitaires de la cour de Berlin. Dans cet écrit, les paragraphes de la lettre confidentielle du prince de Wittgenstein étaient repris un à un et réfutés de la façon la plus violente et du style le plus âcre. La conclusion en était qu’une alliance avec les d’Orléans serait une honte pour la famille de Mecklembourg. La police chercha vainement pendant long-temps quel pouvait être l’auteur de ce libelle rédigé et publié avec un si profond secret. Bientôt le doute ne fut plus possible. Il fut avéré qu’il était sorti de la maison même du duc Charles de Mecklembourg. Le duc de Mecklembourg l’avait rédigé, il avait employé pour les détails d’exécution un major allemand placé dans sa dépendance. Le roi de Prusse s’en montra vivement courroucé. Il ordonna à M. Kamptz, son ministre de la justice, de répondre à l’auteur des Bemerkungen (considérations) par d’autres considérations. Le mémoire de M. Kamptz fut envoyé à tous les cabinets européens. Le cabinet français en eut connaissance dès cette époque, et posséda presque aussitôt une copie de ce curieux document. Si l’on n’a pas oublié avec quelle verve haineuse les partis opposés à la révolution et à la dynastie française se plurent à travestir les négociations qui précédèrent le mariage de l’héritier présomptif du trône, on trouvera que notre gouvernement fit preuve d’un certain empire sur lui-même en se refusant le plaisir de confondre victorieusement ses ennemis. Sa discrétion n’était pas sans mérite. Il y avait une dignité véritable à tenir secrets certains passages de ce mémoire, passages où le