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fauve légèrement rosée. Les armoires, la toilette, les chaises, étaient en vieil acajou noirci. Ce fond sombre servait de repoussoir aux matelas et aux coussins du lit, sur lesquels s’étendait une couverture blanche, et à un grand fauteuil blanc aussi et garni de coussins qui ressemblait à un trône pâle.

« Cette chambre était froide ; on y faisait rarement du feu. Elle était silencieuse, éloignée des appartemens habités ; une servante y entrait le samedi pour enlever des glaces et des meubles la poussière de la semaine. Ces rares visites lui donnaient un caractère de solennité. De loin en loin seulement, Mme Reed venait y passer en revue des objets mystérieusement renfermés dans un tiroir de l’armoire. Là étaient les parchemins de sa famille, ses diamans et un portrait en miniature de son mari mort. Ces derniers mots contiennent le secret de la chambre rouge. M. Reed y était mort depuis neuf ans ; c’est dans cette chambre qu’il avait rendu le dernier soupir ; dans cette chambre qu’il avait été mis au cercueil, et, depuis ce jour, un sentiment de respect et de crainte en avait consacré la solitude.

« Dès que j’osai faire un mouvement, j’allai voir si la porte était bien fermée. Hélas ! oui. Jamais prison ne fut mieux verrouillée. En retournant, j’étais obligée de passer devant le miroir ; mon regard fasciné plongea involontairement dans les profondeurs qu’il révélait. Tout y paraissait plus froid et plus sombre que dans les objets dont il reflétait l’image ; l’étrange petite figure qui m’y regardait, le visage pâle, avec une attitude désolée et le regard effaré de peur, me fit l’effet d’un de ces esprits que les contes nocturnes de Bessie nous représentaient comme allant surprendre au bord de marais les voyageurs attardés. Je retournai m’asseoir sur un tabouret.

« La superstition me gagnait en ce moment, mais elle n’était pas encore maîtresse de moi. Mon sang était encore allumé ; la rage de l’esclave révolté me serrait encore le cœur. Le flot pressé de mes pensées m’entraînait violemment en arrière avant de me laisser retomber sur le triste présent.

« Les tyranniques violences de John Reed, les fiers dédains de ses sœurs, l’aversion de sa mère, la partialité des domestiques, tourbillonnaient dans ma tête troublée. Pourquoi étais-je toujours victime, toujours battue, toujours accusée, toujours condamnée ? Pourquoi ne pouvais-je réussir à plaire ? pourquoi était-ce toujours en vain que je m’efforçais de gagner les bonnes graces du monde ? Éliza, égoïste et volontaire, était respectée. Georgiana, qui avait le caractère d’une enfant gâtée, rancunière, insolente, rencontrait partout l’indulgence. Sa beauté, ses joues roses et ses boucles dorées, semblaient donner du bonheur à tous ceux qui la voyaient, et lui faisaient pardonner toutes ses fautes. John n’était jamais réprimandé, encore moins puni, par personne. Il pouvait tordre le cou aux pigeons, exciter les chiens contre les moutons, arracher les fleurs des plantes les plus rares de la serre, désobéir à sa mère, la traiter de vieille femme, gâter et déchirer ses plus belles robes, il était toujours « son cher bijou. » Et moi qui n’osais pas commettre une seule faute, qui m’efforçais de remplir tous mes devoirs, je m’entendais traiter du soir au matin d’enfant méchant, insupportable, maussade et hypocrite.

« Ma tête était encore endolorie et saignante du coup que j’avais reçu. Personne n’avait reproché à John de m’avoir frappée sans motif, et, parce que j’avais résisté à sa violence, j’étais accablée de la réprobation universelle.

« Injustice ! injustice ! criait ma raison passagèrement surexcitée par l’agonie