Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/488

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lère et les traits rudes et farouches de son visage. Maintenant qu’il n’était plus enveloppé de son manteau, la carrure de son corps me parut s’harmoniser avec celle de sa figure, vrai corps d’athlète à la large poitrine, aux flancs étroits, point grand néanmoins et dépourvu de grace.

« M. Rochester devait s’être aperçu de notre entrée ; mais il ne paraissait pas d’humeur à la remarquer, car il ne remua pas la tête pendant que nous approchions.

« — Voici mademoiselle Eyre, monsieur, dit Mme Fairfax de son ton pacifique. Il s’inclina, toujours sans détourner les yeux du groupe du chien et de l’enfant.

« — Que mademoiselle Eyre s’asseoie, dit-il ; et il y avait quelque chose de raide et de contraint dans son salut, une impatience dans son intonation cérémonieuse qui semblait ajouter : Que diable cela me fait-il, à moi, que mademoiselle Eyre soit ici ou ailleurs ? En ce moment, je ne suis pas disposé à l’entretenir.

« Je m’assis sans le moindre embarras. Une réception d’une politesse accomplie m’aurait probablement couverte de confusion, je n’aurais pu y répondre avec la moindre élégance et la moindre grace ; mais cette brutalité fantasque ne m’imposait aucune obligation. Au contraire, un acquiescement décent à cette boutade me donnait l’avantage. D’ailleurs, l’excentricité du procédé était piquante. J’étais curieuse de voir comment M. Rochester continuerait.

« Il continua comme aurait fait une statue, c’est-à-dire qu’il ne dit mot ni ne bougea. Mme Fairfax semblait croire qu’il était nécessaire que quelqu’un fût aimable, elle commença à parler avec douceur, suivant son habitude, et, suivant son habitude aussi, avec vulgarité. Elle se mit à plaindre M. Rochester de la masse d’affaires qui l’avaient accablé tout le jour, de l’ennui que devait lui causer la foulure dont il souffrait ; puis elle lui recommanda la patience, tant que ce mal durerait.

« — Madame, je voudrais du thé. — Ce fut la seule réponse qu’elle obtint. Elle se hâta de sonner, et, lorsque le plateau arriva, elle procéda à l’arrangement des tasses, des cuillers, etc., avec une célérité attentive. Adèle et moi, nous nous approchâmes de la table ; mais le maître ne quitta point son lit de repos.

« — Voulez-vous prendre la tasse de M. Rochester ? me dit Mme Fairfax ; Adèle peut-être la renverserait.

« Je fis ce qu’on me demandait. Comme il prenait la tasse de ma main, Adèle, croyant le moment propice pour faire une requête en ma faveur, s’écria :

« — N’est-ce pas, monsieur, qu’il y a un cadeau pour mademoiselle Eyre dans ce petit coffre ?

« — Qui parle de cadeau ? dit-il d’un air renfrogné. Vous attendez-vous à un présent, mademoiselle Eyre ? Aimez-vous les présens ? — Et il fouillait mon visage avec des regards qui me paraissaient sombres, irrités, perçans.

« — Je ne sais trop, monsieur : je n’en puis guère parler par expérience. Un cadeau passe en général pour une chose agréable.

« — En général ? Mais quelle est votre opinion, à vous ?

« — Je serais obligée de prendre du temps, monsieur, pour vous faire une réponse satisfaisante. Un présent a bien des aspects, et il faudrait les considérer tous avant d’avoir une opinion sur sa nature.