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l’impôt, en révoltant le pays par le choix de leur personnel, soit, comme d’abord, que ce personnel fût ramassé dans les bas-fonds, soit, comme plus tard, qu’il sortît exclusivement d’une petite église envieuse et impuissante. Le pays a senti cruellement le poids de l’impôt ; il s’est tourné vers celui qui lui promettait du bon marché au nom même de cette gloire qui jadis avait coûté si cher. On croit vite au remède quand on souffre. Le pays s’indignait de se voir dirigé par des médiocrités qui n’étaient pas toutes honorables ; il s’est tourné vers celui qui lui promettait de rallier les honnêtes gens et les gens capables avant même de s’être informé si la promesse était garantie. Le mépris ne pardonne pas. À qui la faute ?

À quoi bon récriminer ? nous dit-on ; venez avec nous, puisque le danger nous est commun ; défendons-nous ensemble. Nous avons déjà joué ce jeu-là dans les élections de septembre, pour lutter contre la république rouge : nous nous sommes aperçus que c’était un jeu de dupe. La république rouge n’en a pas moins triomphé, et le grand parti national et modéré auquel les républicains de naissance étaient obligés de s’appuyer n’a pas donné toute sa force, parce qu’il en avait voulu prêter un peu à leur faiblesse. Le maréchal Bugeaud serait arrivé à l’assemblée par le scrutin de Paris, si une portion de ses voix n’avait été docilement s’égarer sur M. Edmond Adam. Tâchons tous de ne plus commettre une telle faute, et restons enfin nous-mêmes, restons ce que nous sommes, puisqu’il est écrit que jusqu’à nouvel ordre toutes les apparences de conciliation ne nous empêcheront pas d’être sacrifiés. Il y a quinze jours, nous nous étions encore une fois repris à espérer, et nous particulièrement nous exprimions sur l’heure, en toute sincérité, la satisfaction que nous donnait le remaniement ministériel. Nous rapportions ici l’impression que nous avions trouvée sur tous les visages dans l’assemblée. Que s’est-il passé depuis, et comment ces favorables auspices sont-ils restés stériles ? C’est que la bascule a penché, c’est que le chef du pouvoir exécutif, qu’on pouvait croire enfin délivré du joug des coteries, l’a subi de plus belle ; c’est que soit erreur, soit calcul de sa part, le calcul ou l’erreur n’ont point trouvé d’obstacle auprès de ses nouveaux conseillers.

Nous l’écrivions la dernière fois, le général Cavaignac avait déjà bien tardé lorsqu’il s’était enfin décidé à donner ce contentement au pays ; il était besoin d’une conduite bien soutenue pour réparer le tort que ce retard causait à son gouvernement. Des circonstances extraordinaires l’avaient mis à même d’être l’homme de la France ; il s’était trop obstiné à demeurer l’homme d’un parti. Nul plus que lui n’avait de chances pour devenir président de la république au lendemain des combats de juin : comme il l’a dit avec raison, il n’avait pas marchandé ses services en face des barricades, et on ne l’ignorait pas ; mais il a, par malheur, marchandé son adhésion personnelle en face de l’opinion vraiment dominante dans le pays, et l’opinion s’est froissée de ces lenteurs, qui l’empêchaient de prendre confiance. L’avènement de M. Dufaure et de M. Vivien était enfin un gage pour le grand parti dont ils sont. Pourquoi ce gage a-t-il été presque aussitôt retiré ? A peine M. Senard avait-il donné très clairement à entendre les motifs de sa retraite (et cela d’ailleurs en fort galant homme) ; à peine M. Ducoux avait-il résilié sa charge, pour ne pas mettre son génie spécial au service de la réaction ; à peine M. Recurt avait-il revu ses malades du faubourg