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des choses, un dommage regrettable ; mais nous croyons le dommage accompli par cette fausse prudence avec laquelle on a voulu l’éviter en précipitant le dénoûment. On aurait aimé à voir le chef du pouvoir exécutif courir encore le risque de cette attente, et, s’il eût enfin été décidément du bord de la majorité, pourquoi ne lui en aurait-on pas tenu compte ? N’aurait-ce pas été un signalé service que d’avoir reculé le moment d’une grande erreur nationale, le triomphe de cette candidature fabuleuse qui est déjà presque un avènement ? Avec ces tergiversations et ces obscurités, le général Cavaignac a beaucoup perdu pour la république et pour lui sans rien gagner sur le prince Louis Bonaparte.

Ainsi donc, encore une fois Bonaparte ! Vis-à-vis de ce nom, dont le sens n’est pas un mystère, que devrait faire le parti des hommes intelligens et modérés qui se trouvent désormais en dehors de toutes les illusions et de tous les calculs, qui apprécient à leur juste valeur les imaginations populaires, qui préfèrent le sérieux des institutions raisonnables au prestige des influences traditionnelles, qui chérissent l’ordre enfin, mais qui pleurent la vraie liberté ? Ces hommes sont en France une armée considérable ; seront-ils une armée sans chef, ou bien iront-ils se fondre dans les masses derrière ce chef de rencontre dont l’ironie vengeresse du hasard fait aux yeux des masses un représentant énergique de paix et de sécurité ? Quoi ! ces hommes auront combattu si long-temps sur tous les points du territoire, soit pour fonder les institutions qui en 1830 nous sauvèrent de l’anarchie, soit pour sauver plus tard ces institutions elles-mêmes des vices qui les menaient à leur perte ; ils se seront entendus dix-huit années durant pour organiser, à force de travail, la richesse et la prospérité de la France, et cette longue union dissoute par un orage éphémère ne pourra point se renouer, les morceaux de ce grand corps ne pourront point se rejoindre ! Les constitutionnels sincères de toutes les nuances, les seuls dépositaires des moyens de gouvernement, ne seront pas appelés sous la république à concourir pour leur compte au maintien, au salut de la patrie ! Ils ne paraîtront pas sous leur nom, ils abdiqueront au profit de tierces personnes qui ne se porteront ni leurs avocats ni leurs organes ! L’histoire n’offre pas d’exemple d’une pareille duperie.

La tempête de février leur a-t-elle donc enlevé leurs chefs, qu’ils ne puissent plus maintenant se rallier et montrer ce qu’ils valent en entourant un nom. Leurs chefs sont partout dans la nouvelle cité telle que la révolution l’a bâtie. Comment la France se serait-elle passée d’eux ? On veut porter la main sur nos finances par la désorganisation de l’impôt, sur notre armée par la suppression du remplacement ; c’est M. Thiers qui défend nos finances et notre armée. La société, est attaquée dans sa base par des factieux et des rêveurs ; c’est M. Thiers qui répond à ces attaques. Quel drapeau, si l’on voulait, que ce beau livre de la Propriété ! Et encore si l’on cherche une sagesse grave et conciliante, une autorité qui se fasse à la fois accepter et respecter, une expérience que la vie ait mûrie sans l’aigrir, un esprit que les événemens aient façonné sans le blaser, chez qui trouver ces qualités de l’homme d’état à un plus haut degré que chez M. Molé ? Veut-on enfin une épée de bon sens, et par le temps qui court ces épées-là ne sont pas de trop, est-ce que le maréchal d’Afrique ne vaut pas ses lieutenans ? Le général Cavaignac parlait l’autre jour à la tribune du général