Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/528

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Malheureusement l’orgueil des Magyars les aveuglait sur la vraie situation du pays. Aucun pouvoir ne leur paraissait plus légitime et plus assuré que celui qu’ils exerçaient comme race gouvernante, et ils ne comprenaient pas que leurs sujets illyres ou grecs, comme ils appellent avec mépris les Croates ou les Roumains, pussent concevoir la pensée d’aspirer à l’égalité politique. Dans le cas d’une résistance armée, les Magyars ne doutaient point qu’il ne leur suffît de paraître pour écraser et exterminer les rebelles. Cette opinion était précisément celle du parti le plus avancé en matière de réformes législatives, de ce parti ardent et passionné qui, réunissant ainsi dans son programme les idées de liberté et celles de domination, espérait acquérir par des concessions aux classes souffrantes, aux paysans corvéables, le droit de les dénationaliser. Le journaliste Kossuth, Slovaque d’origine, magyarisé lui-même dès l’enfance, le plus intrépide des Magyars et le plus ambitieux, était à la tête de ce parti et le personnifiait dans son éloquence orientale et sans règle. Kossuth, porté au pouvoir par le flot révolutionnaire, entraîné par la double exaltation de son orgueil personnel et de son magyarisme, traitait avec un suprême dédain et les Croates et Jellachich, et les foudroyait chaque jour de sa parole au milieu d’un tonnerre d’applaudissemens. L’Europe, persuadée que les Magyars étaient les plus forts parce qu’ils étaient les plus bruyans, les plus libéraux parce qu’ils parlaient le plus de liberté, et les plus civilisés parce qu’ils avaient une aristocratie façonnée aux mœurs de l’Angleterre, l’Europe, mal renseignée sur le droit et les ressources des deux partis, pouvait se laisser prendre à ces bruits des âges fabuleux, à ces paroles de géans, à ces menaces de héros mythologiques ; mais les Croates connaissaient mieux leur ennemi. Ils ne s’effrayaient point des foudres de Kossuth, et aux accusations de servilisme, de barbarie, d’impuissance, ils répondaient par l’invasion du territoire magyar.

Les Magyars, surpris, mais non déconcertés, continuaient de voir dans Jellachich un chef de brigands au milieu d’une armée de mercenaires que le premier coup de canon mettrait en déroute : Jellachich n’en suivait pas moins son chemin vers Bude, conduit comme par des pressentimens mystérieux. Il pourchasse les premières troupes magyares qui se trouvent sur sa route et qui sont fort étonnées de rencontrer en lui un adversaire résolu, parfaitement armé, dominant ses volontaires par l’influence de son nom magique, et fortifiant la discipline de son infanterie régulière par les inspirations du patriotisme. Les Magyars ne peuvent pas croire que leur général, Teleki, ait pu reculer devant les Croates : ils l’accusent de trahison. Bientôt cependant Jellachich, traversant toute la Hongrie méridionale sans coup férir, arrive à quelques heures de Bude et de Pesth. Un cri d’alarme s’échappe alors de toutes les poitrines magyares, et quiconque peut porter les armes