Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/536

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jellachich porte une épée capable de trancher victorieusement cette difficulté. Or, il ne pourrait reculer devant cette tâche sans encourir la haine et la vengeance de ses compatriotes, dont il a conquis le dévouement en promettant de servir toutes leurs espérances. C’est donc pour lui l’honneur et la vie ; c’est l’adoration fanatique des populations, ou cette mort à laquelle il songeait peut-être quand il écrivait aux favoris de l’empereur : « Si l’Autriche succombe, vous pourrez vivre, vous, messieurs, moi je ne le pourrai pas. » Cette alternative est de nature à enflammer l’ame la plus froide. Que d’ailleurs Jellachich, contrairement à toute vraisemblance, vienne à faillir sous le poids du devoir dont il a si chevaleresquement pris la responsabilité, le génie des Illyriens a de l’essor, il ne restera point en chemin pour la défaillance d’un homme. Heureusement l’homme et le peuple inspirent jusqu’à ce jour aux slavistes, même les plus ardens, une égale confiance, et si des obstacles doivent surgir, ils ne menacent pas de venir de ce côté.

L’impatience des Polonais est plus à redouter peut-être que la prudence diplomatique de Jellachich et des Illyriens. Jellachich a su attacher étroitement les Tchèques à sa cause : il a saisi leur prompte et rêveuse imagination, en faisant pour la première fois tonner le canon victorieux de l’idée slave, et en entr’ouvrant devant leurs regards méditatifs les profondeurs mystérieuses de l’avenir ; mais par quels moyens enchaîner à la poursuite régulière de cet idéal le génie indiscipliné des Polonais ? Certes, tous ceux d’entre les Polonais qui ont le sentiment de l’action et l’expérience des choses viennent se ranger peu à peu autour de l’illyrisme, caressé depuis long-temps par eux. Il en est pourtant d’autres qui ont combattu dans Vienne contre le slavisme, et ceux-là semblent être d’irréconciliables ennemis de l’Autriche. Que l’Autriche se dissolve, s’écrient-ils, que les peuples opprimés depuis si long-temps par sa main perfide brisent enfin les liens qui les retiennent attachés dans une alliance contre nature, que le chaos se fasse de Cracovie à Milan, et au milieu de cette confusion nous retrouverons la fortune de la Pologne ! Raisonnement déplorable, dangereux calculs, qui n’auraient pour conséquence que de rendre la partie incomparablement belle à l’ennemi acharné de la Pologne, de la démocratie et de la civilisation européenne, à la Russie et au panslavisme. Ainsi l’entendait Jellachich, lorsqu’il déclarait sous les murs de Vienne que l’existence d’une Autriche était un intérêt de premier ordre pour la liberté comme pour l’Europe, et c’est là ce qu’il faut répéter après lui à ces intrépides soldats, qui, en frappant ainsi en aveugles, déchireraient pour la dernière fois peut-être le sein mutilé de leur patrie.

Où seraient donc, en effet, dans l’hypothèse d’une dislocation de l’Autriche, les ressources et les alliés indispensables à la Pologne pour