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Sur ce point, comme sur presque tous les points de l’histoire, il existe une opinion généralement admise qui, lorsqu’elle n’est pas opposée à la vérité, est à côté de la vérité.

En tête de son ouvrage, M. de Noailles a placé un argument qui ne sera pas le moins persuasif contre l’idée peu favorable qu’on se fait de Mme de Maintenon. Cet argument est un charmant portrait gravé d’après Petitot par Mercuri. Son historien dit avec raison : « Malheureusement pour Mme de Maintenon, ce n’est qu’à un âge déjà trop mûr que son élévation l’a exposée à nos regards. Nous ne la connaissons que vieille ; nous nous la figurons toujours dans sa robe feuille morte et ses coiffes, dévote et sévère, régentant la cour, devenue sérieuse comme elle, et portant, avec le poids des années, le poids de son ennui et de celui du roi. Son portrait, même le plus connu, celui où elle fut peinte par Mignard en sainte Françoise romaine, alors qu’elle avait soixante ans, a une expression noble et digne, mais en même temps chagrine et triste, qui contribue à la fixer sous ces traits dans notre imagination. Le reflet de la jeunesse ne vient pas adoucir, pour nous, sur son visage, les rides de l’âge avancé. Il faudrait l’avoir connue jeune. Heureux ceux dont l’image arrive à la postérité sous l’emblème de la grace et de la beauté : la postérité en est pour eux plus indulgente. »

Le portrait de Petitot, placé en tête de la vie de Mme de Maintenon, rend à son souvenir ce reflet de jeunesse qui lui manquait, et dispose le lecteur à en croire, sinon le jugement de l’auteur, qu’il pourrait soupçonner de partialité, au moins les nombreux témoignages des contemporains, qui parlent tous de Mme de Maintenon comme d’une personne pleine de charme et d’agrément. Selon Mme de Sévigné, elle est « aimable, belle, bonne et négligée ; on cause, on rit fort bien avec elle. » Mlle de Scudéry, dans son roman de Clélie, la désigne sous le nom de la belle Lyrianne, femme de Scaurus (Scarron), et revenant de Lybie (de la Martinique). Dans ce portrait, on trouve cette phrase qui sort de la banalité du genre : « Son esprit était fait exprès pour sa beauté. » Il n’est pas jusqu’à Saint-Simon, son ennemi mortel, Saint-Simon, l’homme aux boutades et aux préventions, cet écrivain, par momens admirable, dont beaucoup de personnes ont la simplicité de prendre au sérieux les saillies haineuses et les fantasques arrêts ; il n’y a pas jusqu’à Saint-Simon, lui que l’équité historique force d’appeler le calomniateur des Noailles et de Mme de Maintenon, qui n’ait déclaré qu’elle avait « l’esprit le plus agréable et le plus amusant. » Cet esprit avait attiré chez le poète Scarron la meilleure compagnie, avait charmé Ninon, qui se connaissait en grace et n’avait nul faible pour la pédanterie, ne lassa jamais le roi, accoutumé à vivre dans un cercle d’hommes et de femmes spirituels où étincelait l’esprit des Mortemart. Mme de Maintenon remporta un plus grand triomphe. Mme de Montespan, dont elle combattait