Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/547

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ouvertement la passion, à qui elle ne cachait point qu’elle combattait celle du roi, Mme de Montespan, malgré tout son ressentiment et au milieu des explosions orageuses d’un mécontentement bien naturel, se sentait invinciblement attirée vers celle qu’elle maudissait souvent. Ce goût pour une personne qu’elle avait tant sujet de haïr, cet attrait dont elle ne pouvait se défendre, prouvent, ce me semble, plus que tout le reste, quel charme l’esprit de Mme de Maintenon exerçait sur ce qui l’approchait, car c’est par l’esprit seulement que pouvaient s’attirer ces deux personnes que tant de choses tendaient à diviser.

La maturité de l’âge et une dévotion que tout prouve avoir été sincère, sa situation à la cour, n’empêchaient point Mme de Maintenon d’écrire à son ancienne amie, Mlle de Lenclos, des lettres pleines de grace « Continuez, mademoiselle, à donner de bons conseils à M. d’Aubigné (frère de Mme de Maintenon), il a bien besoin des leçons de Léontium. Les avis d’une amie aimable persuadent toujours mieux que ceux d’une sœur sévère. » Mme de Maintenon disait à Saint-Cyr : « Je suis où vous me voyez sans y avoir tendu, sans l’avoir désiré, sans l’avoir espéré, sans l’avoir prévu. » Elle ajoutait « Je ne le dis qu’à vous, parce que le monde ne le croirait pas. » Elle avait raison, et, pour ma part, j’aurais quelque peine à le croire ; mais je ne crois pas non plus à l’esprit d’intrigue, à l’ambition prévoyante qu’on lui a prêtés. Elle a vu venir sa fortune et l’a secondée ; elle s’est laissé porter par sa destinée ; elle a eu la plus grande et la plus permise des habiletés : elle n’a point fait de faute ; c’est celle qu’on pardonne le moins. Du moins a-t-elle été modeste dans sa grandeur, et désintéressée au point de demeurer sans fortune après la mort du roi. Ce sont là deux marques d’une ame qui n’était point commune. Ayant connu dans son enfance l’infortune et presque la pauvreté, elle fut toujours sérieusement occupée des pauvres ; elle institua pour les jeunes personnes de condition qui pourraient se trouver dans la situation où elle avait été elle-même la maison de Saint-Cyr, son titre d’honneur dans la postérité. Dans une de ses lettres, elle rapporte une conversation entre elle et le roi, dans laquelle le roi avait répondu, comme pourrait le faire un économiste de nos jours parlant contre le droit à l’assistance : « Mes aumônes ne sont que de nouvelles charges pour mes peuples ; plus je donnerai, plus je prendrai sur eux… Un roi fait l’aumône en dépensant beaucoup et à propos. » Mme de Maintenon, sans se laisser décourager par ce que cette réponse offrait de sensé, répliqua avec un langage qui ne manquait ni de chaleur ni de hardiesse : « Cela est vrai ; mais tant de gens que vos bâtimens, vos guerres et vos maîtresses ont réduits à la mendicité par la nécessité des impôts, il faut bien les soulager aujourd’hui. Nommez cela pension ou aumône ; mais il est bien juste que ces malheureux vivent par vous, puisqu’il ont été ruinés par vous. »