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qui les ont produites. Tous les êtres animés ont aussi quelque sensibilité ; ils tressaillent ou gémissent aux sensations du plaisir et de la souffrance ; l’homme seul domine le mal, ou se refuse à l’attrait du plaisir. Tous les êtres animés ont des organes qui les font mouvoir ; l’homme seul combine et dirige ses mouvemens. En un mot, les autres êtres animés obéissent, en quelque sorte passivement, aux facultés comme aux instincts que la nature a mis en eux ; ils les servent plus qu’ils ne s’en servent. L’homme seul commande aux siens. Impuissant au début sur tout le reste, l’homme est déjà tout-puissant sur lui-même. Il n’a rien ; mais il est riche, car il se possède.

C’est à l’aide de cette puissance qui lui est donnée sur ses facultés que l’homme se met à l’œuvre pour arracher à la nature les moyens de son existence. Ces facultés qu’il trouve en lui-même, première propriété dont il dispose, il les applique au monde matériel ; il les prête, pour ainsi dire, à la nature. C’est son intelligence bien conduite qui devine le feu caché sous la pierre ; c’est son bras bien manié qui l’en fait sortir. C’est par une combinaison de son intelligence, c’est par un effort de son bras, que la semence est mise en réserve pour produire la récolte, et le sillon déchiré pour la recevoir. Puis, cela fait, l’homme déclare que le bois qui brûle, comme les récoltes, lui appartiennent, il s’en réchauffe et s’en nourrit. Il fait plus encore : il déclare que la terre, d’où ces biens sont sortis, lui appartient comme ces biens mêmes. Il se fait maître par avance de tout ce qu’elle peut produire à l’avenir. Cela s’appelle travailler, cultiver, approprier la terre. Au fond, à y regarder de près, qu’est-ce à dire ? C’est une véritable association conclue entre la nature et l’homme. L’homme, par son travail et par son intelligence, développe dans la nature des forces qu’elle ne possédait pas, ou qui languissaient en elle ; il lui fait porter des fruits qu’elle n’aurait pas portés ; elle abandonne en retour à l’homme l’usage comme le produit des forces nouvelles dont elle lui doit le développement. La nature devient, sous la main de l’homme, plus régulière, plus variée, plus abondante ; elle participe un peu, en un mot, à l’intelligence de l’homme ; en revanche, elle s’engage à donner à l’homme de quoi calmer les besoins de son corps. La terre, dépositaire commune de toutes les forces naturelles, objet de tout le travail de l’homme, devient, en quelque sorte, le gage de cette promesse. C’est de ce contrat solennel et sacré que le droit de propriété prend naissance ; la terre ne se livre pas gratuitement à l’homme ; elle lui est vendue par la nature en échange du travail, et voilà pourquoi elle lui appartient.

Nous pensons que c’est dans cette association du travail et des facultés de l’homme avec la fécondité de la nature que se trouve véritablement l’origine du droit de propriété : association parfaitement équitable et légitime, car la nature ne donne pas à l’homme plus qu’elle n’en