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aux travaux forcés l’éditeur d’un pamphlet papiste. Je n’ai pas à discuter l’inévitable mélange de grandeur et d’iniquité qui caractérise les sociétés fortes ; nos sociétés modernes sont bien loin de tels dangers. Chez le peuple le plus libre du temps actuel, aux États-Unis du sud, une opinion équitable, l’abolition de l’esclavage, enverrait infailliblement celui qui la professerait à la lanterne. Dans ces sociétés vigoureuses, la rigueur minutieuse des observances, l’intolérance générale, l’hypocrisie, le cant, la destruction ou l’affaiblissement des douces charités et des faciles sympathies, l’aigreur tyrannique dans les relaxations, font payer cher les avantages conquis. L’Angleterre avait en outre à subir l’ennui, mais l’ennui réglé, consacré, devenu loi et tourné en religion. Quand Napoléon succomba, ce terrible sérieux ne se détendit pas. Il y eut de l’insolence dans la victoire, et l’intolérance sociale fut sans bornes. Qui a vu Londres vers 1820 sait ce qu’était un dimanche anglais à cette époque, et de quel œil on y voyait l’indifférence pour le dogme ou le relâchement des observances. La société marchait fière, maussade et inflexible sous ce capuce de plomb qui l’étouffait.

Cependant le continent s’ouvrait, et les Anglais s’y jetaient en foule. On allait respirer un peu hors de cette société si bien réglée et si volontairement asservie. Il était convenu que le continent c’était l’enfer, et que l’Angleterre représentait le paradis ; nous autres qui sommes des demi-vieillards, nous avons vu les transfuges ennuyés de la société anglaise venir s’amuser parmi nous comme des damnés.

C’est cette situation anormale que n’ont pas du tout saisie la plupart des lecteurs de lord Byron. Il fut le premier à comprendre quel rôle piquant jouerait dans le XIXe siècle un gentilhomme anglais descendant des conquérans de Normandie, qui déclarerait la guerre à cette aristocratie puritaine et à cette bourgeoisie aristocratique de son pays. Il lut Voltaire, Bayle, Jean-Jacques et Goethe, s’arma de verve, de raillerie et de colère douloureuse, ne dédaigna ni le charlatanisme ni l’artifice, et réussit. Que l’on ne s’y trompe pas, ce fut un rôle et une rancune. Il avait de cuisans griefs à venger, non-seulement les siens, mais ceux de sa race ; le génie et l’esprit ne lui manquaient pas ; il comprit le moment et en usa. Il établit d’abord sa batterie au centre de l’Italie catholique et énervée, d’où il ouvrit son feu sur la société anglaise. Douleurs éloquentes, sensibilité blessée, plaintes amères, misanthropie ardente, mélancolie profonde : c’était la première attaque. Les jeunes gens, les opprimés et les femmes furent entraînés ; il ébranla toutes les ames tendres. Ensuite vinrent anathèmes et invectives, colères et mépris. Enfin, quand il se démasqua tout entier, la vive ironie de don Juan trouva sa place ; c’était l’éclat de rire insouciant d’un homme du monde qui sait qu’on l’écoute, qui dit en vers charmans tout ce qui lui passe par la tête, et qui ne se gêne plus.