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ma réponse à Jeffrey. Je savais bien que je ne pouvais pas honorablement lui casser la tête avec une balle. Je l’ai tué autrement. Mais ces auteurs à la mamelle tombent morts quand on les critique. Je ne voudrais pas, pour tout au monde, être l’auteur de l’article homicide, bien que je trouve détestable l’école griffonnante dont il est question. » Voilà bien du dédain et de l’orgueil. Malheureusement il n’y a pas un mot de vrai dans ces fatuités, Byron ne pardonna jamais à l’Angleterre de n’avoir pas trouvé bons ses premiers poèmes, qui ne valaient rien, et Keats montra plus de force morale que l’impertinent seigneur. — De ces contradictions, de ces éloges, de ces injures, accumulés avec une si insolente désinvolture, un seul fait demeure incontestable, c’est la vanité irritable, la personnalité jalouse de lord Byron, et le peu de certitude et de consistance de ses idées, toujours soumises à ses passions puériles.

Que les gens qui adorent la force brutale, la ruse et le succès présent, se détrompent. Si la vie est passagère et l’équité rare, la lumière se fait tôt ou tard. Voici des débris de lettres bien simples qui, rétablissant la vérité long-temps faussée, rendent son véritable honneur à une ame naïve, à un talent supérieur, à une intelligence égarée, mais après tout honnête ; lord Byron a essayé deux fois de flétrir Keats, d’abord par sa critique, ensuite par sa défense, et n’a pas pu prévaloir. Sans doute il y a bien des défauts à reprocher à ce jeune homme, et ce sont à peu près les mêmes que l’avenir reprochera à notre mouvement littéraire de 1815, mouvement trop sensuel, d’imitation, peu national, trop archaïque. Le cliquetis des rhythmes et des rimes, la formule poétique, l’emportent trop souvent sur l’essence de l’art. L’ame et la foi, la charité humaine et la sympathie, la vérité et l’idéal chrétiens, sont trop souvent absens. Chez Keats, la concentration et la vigueur de l’expression, l’image rendue palpable et lumineuse, surtout la puissance de création et d’évocation, compensent la diffusion, l’inégalité, l’accumulation des détails. Ces fautes se rapportent toutes à son extrême jeunesse et à son rapide passage à travers le monde. Il avait peu connu les hommes. Son admirable faculté de saisir l’idéal et de le reproduire dans un vers qui vibre de passion et de mélodie se mêle à un luxe de répétitions, à une incertitude de composition, à une exubérance qui rappellent la forêt vierge où l’on se perd. Il abuse, en jeune homme et en sensualiste, du charme des sons et du rhythme, comme de l’ardeur du coloris ; il lui arrive de ne point donner de sens à la musique de ses paroles, et d’éteindre les contours sous l’éclat des nuances ; enfin, ses poèmes sont plutôt les ardens effluves d’un génie involontaire que sa concentration définitive et réelle.

Quand il se modère et se résume, comme dans le passage suivant, il est admirable : « C’était le soir ; l’air était vif et le ciel clair. C’était