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comme des artistes d’une importance secondaire tous les hommes qui ont après lui révélé leur génie par des œuvres originales. En dehors de l’école romaine, en dehors de l’école florentine, il y a des hommes vraiment grands, vraiment dignes d’admiration, et ce n’est pas manquer de respect à Raphaël, au Vinci, que d’admirer le Titien, le Corrége, Michel-Ange et Rubens. Le Sueur et Nicolas Poussin sont deux sources fécondes, et l’étude de ces deux maîtres n’est pas à dédaigner pour ceux mêmes qui ont vécu dans l’intimité des maîtres illustres que je viens de nommer.

Je pense donc qu’il faudrait ajouter à l’enseignement du dessin, outre l’enseignement technique de la peinture et de la statuaire, l’histoire de ces deux branches de l’art ; mais cette histoire, pour être vraiment utile, devrait être conçue d’une façon très large quant aux principes généraux. La série entière des écoles qui se sont succédé depuis Phidias jusqu’à Canova, depuis Cimabue jusqu’à Géricault, devrait être jugée sans colère, non pas au nom d’une école, si excellente qu’elle soit, mais au nom de la justice, au nom du goût. Se placer au centre du XVIe siècle pour condamner comme imparfait tout ce qui a précédé Raphaël, comme un art en décadence toutes les œuvres qui se sont produites après lui, ce n’est pas comprendre, ce n’est pas enseigner l’histoire ; c’est la dénaturer, c’est en méconnaître la vraie signification. Que le peintre ou le statuaire dans la solitude de leur atelier proscrivent tout à leur aise les écoles pour lesquelles ils n’éprouvent aucune sympathie, qu’ils impriment à leurs œuvres le cachet de leur colère, il n’y a rien dans une telle conduite qui puisse être blâmé sévèrement ; car, s’ils se trompent, ils portent la peine de leur méprise, et ils n’imposent à personne la haine et la sympathie qui les animent. Mais la justice est le premier devoir de l’histoire, et c’est manquer à la justice que de proscrire Rubens au nom de Raphaël.

Je croirais avoir obtenu beaucoup si tout ce que j’ai proposé jusqu’à présent venait à se réaliser, et pourtant mes vœux ne s’arrêtent pas là. Les trois arts du dessin, mais surtout la peinture et la statuaire, sont unis à la poésie par une étroite parenté. La lecture des poètes fournit aux peintres et aux statuaires la plupart des sujets qu’ils sont appelés à traiter, la meilleure partie de ceux mêmes qu’ils choisissent librement. Or, pour que la lecture des poètes soit vraiment féconde, pour qu’elle suscite dans l’ame du peintre et du statuaire une moisson de pensées nouvelles, ne faut-il pas que l’ame de l’artiste soit préparée par l’étude, comme la terre par la charrue au moment des semailles ? Les élèves de l’École polytechnique ont une chaire de littérature, et l’École des Beaux-Arts n’offre rien de pareil. Je me demande si les connaissances littéraires ont plus d’importance, plus d’utilité pour les ingénieurs, pour les officiers d’artillerie, que pour les peintres et les statuaires.