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occuper de la vie matérielle, il ne faut pas s’étonner si ce bien-être, venant en aide à l’orgueil, les conduit à l’indolence. Il y a tel pensionnaire qui, dans l’espace de cinq ans, n’a pas visité cent fois le Vatican, et qui ne connaît pas même toutes les richesses de ce prodigieux musée. Ils font à Rome un si long séjour, qu’ils ne se pressent pas d’étudier tous les trésors mis à leur disposition, et souvent la cinquième année s’achève sans qu’ils aient passé en revue toutes les merveilles qui devraient renouveler, qui devraient féconder leur pensée.

À leur retour en France, les pensionnaires de l’académie s’étonnent de l’oubli profond où leur nom est tombé. En partant pour Rome, ils croyaient naïvement que le public se souviendrait d’eux ; ils espéraient le retrouver fidèle, empressé. En voyant sur tous les visages la plus parfaite indifférence, ils accusent le public d’injustice et d’ingratitude. Personne ne songe à les interroger sur leurs projets. Les travaux envoyés de Rome chaque année produisent une impression si passagère, que le retour d’un lauréat passe nécessairement inaperçu. Il est bien rare qu’un artiste absent depuis cinq ans, qui, pendant toute la durée de son séjour en Italie, n’a produit le plus souvent aucune œuvre d’un caractère vraiment nouveau, réussisse à exciter la curiosité. Après quelques jours d’étonnement et de colère, forcé de se rendre à l’évidence, le lauréat qui n’est plus jeune, qui vient d’achever son septième lustre, se résigne enfin à recommencer la lutte qu’il croyait terminée. Chacun devine ce qu’il doit souffrir en acceptant pour rivaux ceux qu’il avait dédaignés jusque-là comme des athlètes trop faibles pour entrer en lice avec lui. Bon gré, mal gré, quelle que soit sa pensée sur lui-même et sur le public, il faut bien qu’il se décide à faire ses preuves pour attirer l’attention. Puisque le public ne le connaît pas, il faut qu’il lui apprenne son nom. Après cinq ans passés dans la sécurité la plus complète, dans le contentement de soi-même, c’est une rude épreuve, et, parmi les pensionnaires, il en est bien peu qui l’abordent sans frayeur. Pour sortir victorieux de cette lutte avec l’indifférence, un courage de quelques mois ne suffit pas ; il faut, pendant plusieurs années, une persévérance qui ne se démente pas un seul instant. Dans l’isolement volontaire où il vivait, le pensionnaire de l’académie s’était habitué à se considérer comme un maître consommé. Sans avoir produit aucune œuvre éclatante, il se respectait, il se savait bon gré d’avoir étudié pendant dix ans pour obtenir les suffrages de l’Institut. Il avait été couronné, donc il avait du talent. Le fameux enthymème de Descartes sur l’existence prouvée par la pensée n’avait pas à ses yeux une évidence plus lumineuse. Les professeurs réunis à l’Institut n’avaient pu se tromper ; puisqu’ils l’avaient jugé digne de vivre pendant cinq ans en Italie aux frais de l’état, il était sûr de trouver à son retour des travaux selon son goût. Le jugement prononcé par les professeurs