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d’enseignement que les anciens n’ont pas eue. On lie l’imagination en voulant apprendre par ce moyen la science du dessin. Je sais, quant à moi, que, lorsque j’étais à Paris à étudier, je pouvais dessiner d’idée une figure sous toutes ses faces et la disséquer jusqu’aux os, en nommant tous les muscles, leur office, leur origine et leurs insertions. A présent, cela me serait de toute impossibilité, je vous assure ; et, pourtant, je me sens capable de mieux composer une figure, de la mieux faire marcher, et de l’exécuter avec plus de justesse et de science sans me tourmenter à faire plus que la nature n’indique. »

Telles étaient les paroles de Robert. Or, un homme pourvu d’une aussi vivace prédilection pour la nature ne pouvait être goûté par l’artificiel Camuccini. La France vengea Robert. Son tableau fut acheté par la liste civile, à la suite de l’exposition de 1831, et l’artiste reçut publiquement la croix de la Légion-d’Honneur des mains du roi.

A l’imitation de la Restauration, sous laquelle les récompenses nationales étaient distribuées aux artistes par le souverain lui-même, Louis-Philippe avait clos en personne la première exposition de son règne et remis sans intermédiaire les récompenses aux plus dignes. Cette solennité eut un grand éclat. Tout ce que la France possédait de plus éminent parmi les artistes et les connaisseurs se groupait, dans le grand salon du Musée, autour du roi. Les seuls artistes qui reçurent cette décoration de la Légion-d’Honneur, qui, pour les gens de cœur, n’a jamais été un hochet, furent Léopold Robert et son ancien camarade d’atelier, Henriquel-Dupont, ce véritable artiste, peintre avec le burin, qui répand sur toutes ses œuvres une fleur si vive de sentiment et de goût, et qui aux charmes du talent joint les charmes du caractère. Des applaudissemens unanimes couvrirent les noms de Robert et de Dupont, aimés de tous ; mais rien n’égale la sensibilité modeste avec laquelle Léopold reçut la distinction dont il était l’objet, rien n’égale le bonheur de ses amis, quand ils le virent si heureux. Sa première visite, à son arrivée à Paris, avait été pour son premier maître de dessin, le vieux Charles Girardet, établi alors dans une ruelle du quartier Saint-André-des-Arcs. La reconnaissance l’y porta de nouveau. « Je viens, lui dit-il, faire hommage de mes couronnes à celui qui m’a mis le crayon à la main. » Et le vieillard et l’élève pleuraient en s’embrassant.

L’administration chargée des encouragemens dans les arts, qui semblait s’être fait une loi de ne jamais deviner un grand artiste, avait bien quelques torts à réparer envers Léopold. En effet, il exposait depuis 1822, et six années s’étaient écoulées sans que le gouvernement lui eût acheté ou commandé aucun ouvrage ! Il avait fallu qu’en 1828, dans son vif désir de voir figurer une de ses œuvres au musée du Luxembourg, le pauvre Léopold fît le sacrifice d’une partie considérable du prix de son tableau de la Madonna dell’ Arco pour l’y faire admettre. Encore le tableau n’y entra-t-il point sans difficulté, et