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devant ces tableaux les processions religieuses, les fonctions, comme on dit, si fréquentes et si splendides en Espagne. On y voit le géant Goliath, David, saint Jean-Baptiste, les onze mille vierges et l’enfer et le paradis. La pompe du spectacle, l’éclat des étoffes et du clinquant, vous éblouissent d’abord ; puis on reconnaît dans un petit saint Jean le gamin qui a ciré vos bottes, une des vierges est une grisette à qui l’on a donné un bouquet, Goliath est le tambour-major du régiment qu’on a vu à la parade. De même les madones et les anges de Murillo vous rappellent les figures de la rue, et l’on se sent trop sur la terre. Cependant il est juste de dire que ce qu’il a de trivial dans ses têtes est souvent racheté par l’expression puissante qu’il leur a donnée. Sa Vierge n’est pas la reine du ciel, sans doute ; mais elle a tant de bonté, tant de compassion, tant de candeur, qu’on peut en faire au moins « la Vierge des bonnes gens.

M. Stirling, qui raconte avec beaucoup de détail et d’une manière très attachante les vies de Velasquez et de Murillo, s’est un peu trop étendu, ce me semble, sur les biographies d’une multitude de maîtres du second et du troisième ordre. Zurbaran, Alonso Cano, Juan de Joanes, méritent sans doute cet honneur ; mais, quant à cette interminable suite de méchans barbouilleurs dont les ouvrages sont aussi peu connus que les noms, il était peut-être inutile de se donner tant de peine pour savoir l’année de leur naissance et celle de leur mort. Après tout, l’ouvrage de M. Stirling est un excellent guide pour le voyageur, et qui l’emporte avec soi n’a plus besoin de cicerone. Pour ma part, j’aurais préféré que notre auteur nous fît grace de quelques noms, et qu’il eût ajouté à ses nombreuses notices des détails techniques sur les procédés des maîtres espagnols. Les procédés des coloristes peuvent s’enseigner et valent la peine qu’on les étudie. C’eût été rendre un service aux artistes que de leur faire connaître les renseignemens que M. Stirling a dû recueillir à cet égard et les traditions qui se conservent dans les ateliers. Les tableaux espagnols sont remarquables par leur belle conservation, ce qui annonce l’emploi de moyens matériels excellens. Il est vrai que restaurer un tableau est un art inconnu en Espagne ; c’est peut-être à cette cause seulement qu’il faut attribuer la magnifique condition des Velasquez et des Murillo du musée de Madrid. Plût au ciel que cet art funeste ne fût pas pratiqué chez nous ! On m’assure que le directeur actuel du musée a banni du Louvre les restaurateurs, et il faut le féliciter de cet acte de bon goût. Pour effrayer les malfaiteurs, on exposait autrefois à la porte des villes les têtes des grands coupables : M. Jeanron s’est contenté de faire placer dans le grand salon une victime ; c’est un Andrea del Sarto restauré. La mesure est plus douce, mais l’exemple doit suffire pour arrêter le mal.


P. M…