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dont il s’occupe aux idées générales qui la dominent, la complètent et l’éclairent. Eh bien ! en temps de révolution, le paysage existe toujours, mais l’horizon n’existe plus : il est assombri par les rapides nuages derrière lesquels peut se cacher, selon le caprice des vents, le calme ou la tempête, la dévastation ou la sérénité. Telle est la condition logique, inévitable, des époques de révolutions, et je me sers à dessein de ce dernier mot plutôt que d’en employer un autre qui pourrait me faire accuser d’injustice. De brillans écrivains se sont ingéniés, depuis quelques mois, à démontrer, avec plus d’esprit que de conviction peut-être, que la république donnerait à l’art un nouvel essor, un champ plus vaste ; que, le dérobant aux mesquineries bourgeoises, elle créerait pour lui des murs gigantesques à couvrir de monumentales peintures, des galeries colossales à peupler de statues, d’immenses théâtres populaires à faire retentir des grandes voix d’airain de la Melpomène antique. Tout cela est fort beau sans doute, et le budget républicain, condamné, comme chacun sait, à de sévères économies par les gaspillages monarchiques, pourrait seul trouver à s’en alarmer. Malheureusement tout cela n’est pas encore la question, la bonne raison que, jusqu’ici, nous ne sommes pas en république, mais en révolution. Est-ce donc la même chose ? Les deux mots sont-ils synonymes ? L’affirmer serait médire. La république est, j’imagine, une forme de gouvernement comme une autre, et il n’y a probablement aucun motif pour qu’elle ne soit pas tout aussi stable que la monarchie. Une fois arrivé à cette phase, on pourra discuter si ses austérités ou ses grandeurs sont défavorables ou propices aux arts ; si elle nous donnera des Phidias, des Michel-Ange et des Eschyle. Pour le moment, cette incertitude du lendemain, cette excitation fébrile, cette attente inquiète, cette fermentation maladive de toutes les ambitions qui trouvent, dans cette instabilité perpétuelle, un perpétuel sujet d’espérances, tout cela ne constitue pas un état républicain, mais un état révolutionnaire, et, je le répète, les malveillans seuls pourraient prétendre qu’il n’y a pas de différence.

La révolution, avec ses inquiétudes, ses anxiétés, son inconnu, tel est le terrain mouvant sur lequel la critique dresse aujourd’hui sa tente, et voilà pourquoi elle est obligée de s’interdire ce qui donnerait à ses jugemens une portée plus large, une interprétation plus générale que celle du fait même qu’elle examine et du moment où elle écrit. Cependant, si c’est là pour elle une condition d’infériorité, si ses solutions doivent en être moins fécondes, si elle y perd, pour elle-même, ce qui faisait son principal charme, et, pour le public, ce qui faisait son autorité, elle n’en doit pas moins rester fidèle à sa tâche, ne fût-ce que pour ne point laisser établir de prescription et de lacune. Elle doit apporter, dans la sphère de ses études, un peu de ce qui se passe dans la vie réelle. Là aussi, les révolutions nous forcent à vivre au jour le jour, elles nous interdisent ces projets, ces plans vastes, ces longs empiétemens sur l’avenir par lesquels nous aimons à nous donner le change sur l’instabilité de notre existence et la fragilité de nos destinées ; mais, de même que dans cette vie sans lendemain, réduite aux prévisions et aux nécessités du moment, l’honnête homme, l’homme sage, ne cesse pas de subordonner ses actions à ces principes de moralité et de bon sens qui, plus tard, concourent à donner à l’ensemble de la vie l’harmonie des grandes lignes, de même nous ne devons jamais oublier dans nos jugemens partiels et nos appréciations isolées que l’art comme la morale, le beau comme le juste,