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doute il y a parfois, dans ces grandes pages du poète anglais, des tons qui se heurtent, des passages où le XVIe siècle et la cour d’Élisabeth ont déteint sur l’histoire romaine ; mais l’homme y est toujours vrai, et, à défaut d’une scrupuleuse exactitude de costumier et d’érudit, on y rencontre ce sentiment juste et vif des événemens et des personnages qui, à travers le lointain de l’histoire, suffit à la vérité relative des tableaux. M. Dumas, au contraire, s’inquiète avant tout des détails de couleur locale ; il met une affectation puérile à nous montrer de quelle façon s’accomplissait à Rome telle ou telle cérémonie, comment s’habillaient les courtisanes, de quel fard se servait César pour ajouter à la blancheur de son teint. N’ayant plus ni le temps ni la force d’être poète dramatique, il se fait archéologue ; puis, quand tout ce bric-à-brac est étalé sur la scène, peu lui importe que les personnages qu’il y amène soient des hommes ou des marionnettes. M. Dumas a-t-il seulement lu Salluste avant d’écrire sa pièce ? A-t-il cherché à ranimer sa palette à l’aide des tons merveilleux de cet immortel coloriste de l’histoire ? Je le soupçonne d’en être resté à cette première ligne : Jam primum adolescens Catilina multa nefanda stupra fererat… cum sacerdote Vestoe. Ce viol d’une prêtresse de Vesta aura sans doute paru à l’auteur d’Antony ou d’Angèle devoir être le nœud de son drame, et l’illusion a pu être d’autant plus complète, que, dans le fait, son Catilina n’est qu’un Antony, un rêveur, un de ces héros modernes qui se plaignent de leur isolement de cœur, de leur existence brisée, de l’inutile grandeur de leurs facultés inactives, et qui traduisent habituellement leurs plaintes et leurs souffrances intimes en crimes ou en extravagances. Une fois soumis à ce système métrique du drame contemporain, vous comprenez ce que peuvent être cette pièce et ce héros. La pièce s’embrouille, s’enroule, s’allonge à l’infini à travers le dédale obligé d’accouchemens clandestins, d’enfans apocryphes, de cachettes, de souterrains, d’enlèvemens et de reconnaissance. Le héros n’est conspirateur et factieux que faute d’avoir une femme à chérir et un enfant à élever. Il emploie le meilleur de son temps à rechercher cet enfant qui le sauvera de lui-même et lui apprendra à être bon père, bon époux, bon citoyen, dévoué à Cicéron et à tous les conservateurs romains. Peut-on pousser plus loin l’inintelligence ou le dédain de la vérité, ou même du bon sens historique ? Eh ! ne nous décrivez pas si bien les enterremens et les élections, ne nous parlez pas tant de la litière de Fulvie ou des tourterelles bleues d’Orestilla, et n’oubliez pas, à chaque ligne, ce que c’était que l’amour, la paternité, les relations de famille, dans cette société romaine que vous vous efforcez de nous peindre. Chose remarquable ! l’école à laquelle appartient M. Dumas a reproché, non sans raison, à la tragédie classique l’uniformité de ses procédés ; ces songes, ces récits, ce langage de convention, ces formes traditionnelles ; elle lui a reproché d’habiller à la française les Grecs, les Romains et les Turcs. Cette monotonie extérieure n’était du moins que le côté accessoire du drame : au-dessous pouvait se cacher, pourvu qu’un grand poète s’en mêlât, une étude exacte, habile, instructive des époques que l’on ressuscitait, des événemens que l’on retraçait sur le théâtre. Qu’importent les fades amours de Britannicus et de Junie, qu’importe que la Cléopâtre de Corneille nous parle de ses beaux feux, que Bajazet et Atalide s’oublient un moment sur la carte du tendre ? Le César de Corneille en est-il moins grand ? Agrippine et Néron moins vrais ? Roxane moins sensuelle et moins passionnée ? A travers le