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force d’une nouvelle unité germanique, et tous les souverains se prêtent à l’action du pouvoir central, parce qu’ils se déchargent ainsi des embarras du moment et de la responsabilité qu’il entraîne. L’armée, qui leur manquerait peut-être dans les mains, obéit sans résistance aux injonctions de Francfort, qui peuvent toujours sembler plus libérales, parce qu’elles semblent plus patriotiques. De Francfort, on envoie directement des ordres de marche aux régimens bavarois ou prussiens, sans avoir même à les transmettre par l’intermédiaire de leurs ministres respectifs. Aussi les républicains de Berlin n’ont-ils plus maintenant assez de malédictions pour ce pouvoir unitaire dont ils avaient tant espéré. Aussi proclament-ils à son de trompe la supériorité intellectuelle et révolutionnaire de Berlin, qu’ils voulaient naguère confondre et absorber dans le règne de Francfort. Ce n’est pas que Francfort ne puisse pourtant aider à l’avenir de leur cause, si jamais le jour de leur cause arrive. L’ambition unitaire s’accroît à mesure qu’elle réussit, et le sentiment de son importance actuelle pousse peut-être l’autorité centrale dans des voies qui ne sont pas celles de la prudence. Ainsi, par exemple, il serait question de réduire aux quatre royaumes de Prusse, Bavière, Hanovre et Wurtemberg, toutes les divisions actuelles du territoire allemand, en répartissant les autres dans celles-là par une médiatisation plus ou moins impérieuse. Les républicains seraient bien forts en logique contre les royautés subsistantes, pour l’instant si ébranlées, lorsqu’ils pourraient argumenter de cette suppression préalable des souverainetés particulières. Voici cependant que, grace à l’ubiquité de ses commandemens, le pouvoir de Francfort met des troupes hanovriennes dans les petits duchés saxons, en même temps qu’il envoie très loin tout leur contingent. Il y a donc là une autre révolution qui s’accomplit dans un sens de reconstitution politique à côté de ces mouvemens impuissans de reconstitution sociale.

Nous ne sommes pas, quant à nous, encore édifiés sur les chances ultérieures de cette grande entreprise, mais nous croyons qu’elle doit nous donner à réfléchir ; nous croyons surtout que le sort particulier de l’Autriche nous intéresse plus que jamais à raison du déplacement d’équilibre dont nous sommes peut-être menacés en Europe par les progrès de la puissance slave, par la centralisation de la puissance germanique. L’assemblée de Francfort, dans un article de la constitution qu’elle discute, a paru vouloir obliger l’Autriche, soit à lui céder ses provinces allemandes, soit à lâcher celles qu’elle possède en dehors du saint empire. Nous doutons qu’on s’obstine dans une prétention aussi exclusive. M. de Gagern demandait, avec plus de raison, qu’on laissât l’Autriche hors de l’empire en se contentant d’une alliance intime. Cette position serait, en effet, la meilleure qui pût convenir pour l’Allemagne et pour nous. Ce vaste corps, composé d’élémens si hétérogènes et pourtant si indissolubles, interviendrait entre ces masses nouvelles qui se forment au-delà du Rhin et de la Vistule, et préviendrait ou neutraliserait ainsi des frottemens trop hostiles. Avec une Allemagne unitaire, avec une Russie toujours croissante et débordante, ce n’est pas de trop d’un état intermédiaire, que sa nature même oblige à ne point concourir sans réserve aux projets des deux autres. Ce mélange extraordinaire de Slaves et d’Allemands, de Magyars et de Valaques, nous ne voulons pas dire de Polonais et d’Italiens, constitue un tout où il y a une force propre, une vitalité qui empêche les démembremens. Ce tout ne peut plus être le patrimoine exclusif