Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/678

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

amusent encore les curieux dans les galeries ; mais c’est avec la poudre à canon qu’on gagne les batailles.

Pour la Hongrie, la question n’était pas aussi simple qu’elle peut paraître aujourd’hui, en France surtout, où nous n’avons jamais à compter qu’avec notre propre volonté. Il ne s’agissait pas seulement de remplacer par de nouvelles institutions les formes, désormais hors de service, d’une constitution féodale ; il fallait faire ratifier ce choix par un autre ; cet autre, ne l’oublions pas, était le gouvernement autrichien ! Comment l’échange se ferait-il ? On accepterait certainement à Vienne tout ce que les Hongrois voudraient abandonner de leurs antiques privilèges ; leur accorderait-on, en retour, les institutions libérales auxquelles’ ils allaient les sacrifier ? On n’aurait plus les franchises du moyen-âge, aurait-on la liberté du XIXe siècle ? Il ne manquait pas de gens avisés qui craignaient qu’on ne jouât un jeu de dupe, et qui rappelaient le proverbe : « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ! » De dignes patriotes, vieillis dans l’opposition des dernières diètes, plus familiers avec l’histoire des révoltes contre l’Autriche qu’avec les idées du siècle, s’alarmaient à la pensée de quitter ce qu’ils appelaient le terrain historique pour des théories étrangères ou mal éprouvées. — Il s’agissait moins, pour eux, d’obtenir des réformes libérales, que d’embarrasser ou d’annuler le gouvernement. Comme certains dévots qui ont plus la peur du diable que l’amour de Dieu, il y avait dans leur patriotisme plus de haine contre l’Autriche que de goût pour la liberté : selon eux, la patrie n’avait besoin de personne, et l’Autriche voulût-elle donner satisfaction aux plaintes, aux intérêts de la Hongrie, il fallait rester dans un fier isolement et ne rien accepter de sa main. Pourquoi ne pas revenir trois siècles en arrière, aux temps où la nation choisissait elle-même ses rois ? On parlait du parlement anglais, des chambres françaises, du progrès que des nations libres et calmes faisaient chaque année en richesses, en puissance, en lumières. Ces raisons touchaient peu leur patriotisme exclusif et soupçonneux. Était-il bien digne d’un noble hongrois d’aller prendre ses exemples chez des étrangers, chez des peuples plus jeunes dans la pratique du gouvernement représentatif ? Le beau idéal de ce gouvernement, n’étaient-ce pas les anciennes diètes, où quatre-vingt mille nobles, rassemblés à cheval dans la plaine de Rakos pour délibérer sur la paix ou la guerre, poussaient ensemble le cri formidable : Aux armes ! après lequel il n’était pas besoin de voter au scrutin ?

Tels étaient les sentimens et presque le langage d’une grande partie de cette petite noblesse qui forme toute la nation politique, possède le sol, remplit les assemblées des comitats, nomme les juges des tribunaux, compose de ses députés la chambre des états et la tient incessamment sous sa main au moyen des mandats impératifs.