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patriote qui avait figuré avec éclat dans les anciennes diètes. Il avait d’abord secondé le réveil de l’esprit public, mais il trouvait qu’on allait se jeter hors la droite voie. Enfermé un peu étroitement dans les habitudes de l’ancienne opposition, il ne comprenait rien à un parti plus libéral que national, plus philosophique que constitutionnel ; on lui gâtait la Hongrie de sa jeunesse en voulant la revêtir de nouveaux vêtemens à la mode du jour. « Jeune, il avait défendu la constitution contre les empiétemens de l’Autriche ; il la défendrait dans sa vieillesse contre des enfans ingrats ! » Il n’hésita pas à rompre avec son jeune ami Széchény.

Les attaques contre les dîmes ne sont, disait-il, que le renouvellement de celles que les révolutionnaires sociaux de tous les temps ont tentées contre la propriété. Le seigneur possède ses terres, comme l’ouvrier ses instrumens de travail, comme le paysan sa bêche et sa charrue. Quant aux déclamations sur l’esclavage ou la misère des paysans, c’est une calomnie pour égarer l’opinion à l’étranger. Chacun sait bien en Hongrie que le servage de la glèbe n’existe plus, et que, dans un débat entre le seigneur et le paysan, les tribunaux donnent toujours raison au dernier. Les dîmes et les corvées ne sont que le loyer des terres que le seigneur afferme au paysan. Songe-t-on en France et en Angleterre, où le noble comte va toujours chercher ses exemples, songe-t-on à abolir les fermages ? Ce n’est pas de féodalité, qu’on le sache bien, qu’il est question dans le débat, c’est de propriété : personne ne tiendrait à la conservation de ses droits, si le paysan était assez riche pour les racheter ; mais parler de suppression, quand il n’existe pas de moyen de rachat, c’est violer, je ne dirai pas la constitution, ces nouveaux patriotes ne s’en soucient guère, mais la propriété et la foi des contrats privés ! »

Quant à l’idée de faire contribuer les nobles pour un objet déterminé, pour l’entretien des routes, par exemple, Desewfy n’y répugnait pas absolument ; « il en était des exemples dans l’ancienne constitution. » Ce qu’il ne voulait pas, c’est que ces impôts pussent aller grossir les trésors de l’Autriche, s’établir sans la volonté des états et être soustraits à leur contrôle. Au fond, et en le dégageant des violences personnelles de la polémique, ce manifeste du vieux parti national était plus remarquable par ce qu’il abandonnait que parce qu’il maintenait. Il cédait le terrain pratique. Réduire le débat sur l’organisation sociale du pays, sur la propriété du sol entier, à une indemnité pécuniaire, c’était s’avouer vaincu par les opinions nouvelles, c’était accepter à l’avance le milliard que l’émigration française a reçu en échange de ses propriétés. La vieille et féodale citadelle élevée par saint Étienne, fortifiée par André II, assiégée et battue en brèche depuis trois siècles par l’Autriche, allait ouvrir ses portes à un vainqueur plus puissant,