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et d’essais avant d’arriver à cette simplicité qui dit tant avec si peu de choses, et qui est le comble de l’art : ira-t-on chicaner le Poussin sur la voie qu’il a prise pour arriver au sublime ? Le pressait-on un peu trop pour quelque peinture, il répondait familièrement : « On ne peint point à tire d’aile, et, comme dit le proverbe italien, avec le temps et la paille se mûriront les nèfles. » Et il prenait son temps.

Un point dont la critique doit tenir compte, c’est que le modelé manquait parfois aux têtes que peignait Robert, et que fort souvent, dans les Moissonneurs même, les mains restaient à l’état de lourde ébauche et n’étaient point articulées. Malheureusement, l’éducation du burin lui avait laissé crudité de ton, sécheresse et âpreté de contours, comme si ces contours fussent peints à sec ; une silhouette trop découpée, un arrangement trop formel et trop symétrique, défaut surtout des tableaux qu’il peignit avant les Moissonneurs. Sa couleur était noire et sans transparence, et une exécution monotone produisait toujours égalité de valeur dans les vêtemens divers, lourdeur et raideur dans les linges et les draperies. Il demeura long-temps ainsi, plus graveur encore que peintre, sculptant trop souvent des détails dans le chêne, comme ces chefs-d’œuvre taillés à la pointe du couteau par les Phidias de Berne et de Nuremberg. Cette rigidité, cette sécheresse, cette maigreur, dont il convenait lui-même dans sa réponse aux critiques de Gérard[1] et dans ses lettres à M. Marcotte, ne semblent-elles pas d’ailleurs être les défauts natifs de toutes les races allemandes ? Hans Holbein, Albert Durer, Lucas Cranack, fins, il est vrai, et faciles, sont secs, découpés, et n’ont jamais atteint à ce succoso, à cette plénitude harmonieuse qui, après le Pérugin, fit la gloire des maîtres de l’Italie, et fut si souvent l’écueil de Robert.

Moins peintre que Gros, chez qui l’effervescence et la richesse d’une exécution qui déborde sont trop fortes, non pour son imagination, mais pour sa pensée ; — plus ferme et plus magistral que Gérard, dont l’organisation si éminemment fine et délicate, dont l’intelligence si

  1. « … Je vous remercie, monsieur, et je reçois avec la plus vive reconnaissance les observations que vous avez pris la peine de me faire sur le petit tableau que je vous ai fait remettre. Je les aime de tous, mais elles me sont d’autant plus précieuses de vous, monsieur, qu’elles me viennent de l’artiste le plus distingué de ce siècle. Toutefois, si votre critique a été si peu sévère, je l’attribue à votre indulgence et à votre bonté. Je reconnais que, dans mes derniers ouvrages, j’ai eu une propension à tomber dans la sécheresse et la maigreur. Aussi, chercherai-je dorénavant à me préserver de cet écueil en me rappelant toujours vos conseils et vos observations. » (Robert à Gérard, Rome, 21 décembre 1826.)