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et qu’elle est allée chercher au loin. Ses navires de guerre et de commerce ont été construits par les même s moyens. Ses flottes ont lutté avec celles des premières puissances maritimes. Sans terres labourables, elle a fait de son pays le grenier de l’Europe, et sur ses marchés, rivaux de ceux de l’Angleterre, elle a étalé les produits des deux Indes. Les Hollandais ont montré de bonne heure une aptitude spéciale et, pour ainsi dire, caractéristique au négoce. Activité, patience, persévérance, amour du gain se concentrant volontiers sur de petits bénéfices accumulés sous la sauvegarde de la plus stricte économie, telles sont les qualités qui ont assuré le développement de leur influence commerciale. Ces qualités, cependant, n’eussent pas suffi pour créer et maintenir leur importance politique, et auraient mieux servi la fortune publique de la Hollande que son honneur national, si, à côté de ces instincts matériels, la Providence n’eût placé des inspirations d’un ordre plus relevé, à côté du bon sens l’amour de la liberté civile et religieuse et l’intelligence des vrais intérêts de l’humanité.

Est-ce à dire que les Hollandais ont toujours été sages et modérés dans leurs entreprises ; qu’ils ont toujours respecté chez les autres les droits et les libertés dont ils se montraient si jaloux pour eux-mêmes qu’aucun acte d’injustice, de violence, de cruauté, d’intolérance, n’a marqué et retardé les progrès de leur domination au-delà des mers ? Non sans doute : comme les autres Européens qui ont révélé à l’Amérique et à l’Asie la supériorité intellectuelle de notre race aventureuse, ils ont accompli de grandes choses au milieu de déplorables excès, et ont mieux réussi à se faire craindre qu’à se faire aimer ; mais, s’il faut distinguer la part que chaque nation envahissante peut réclamer ou que l’histoire lui assigne dans cette œuvre fatale, nous ne voyons que trois peuples dont les établissemens dans l’extrême Orient aient survécu aux luttes sanglantes du commerce et de la politique, et réunissent encore des conditions de stabilité et de durée : les Anglais, les Hollandais, les Espagnols. La tâche accomplie par les deux premiers occupe, à juste titre, un rang plus élevé dans les annales de la civilisation et de la colonisation européenne. Toutefois ce qu’il importe de remarquer, c’est que tous trois ont réussi à fonder une domination durable, en tenant compte des circonstances ethnographiques, des exigences du climat, du respect dû aux croyances locales, aux habitudes, aux préjugés ; c’est que tous trois, sans renoncer à introduire dans l’extrême Orient les élémens de notre civilisation, ont profité des leçons de l’expérience et adapté par degrés les formes de gouvernement qu’ils ont établies dans leurs colonies au génie des populations qui subissaient leur joug. Ainsi se sont maintenus, en se modifiant, ces gouvernemens mixtes qui régissent aujourd’hui l’Hindoustan, les Indes néerlandaises, les Philippines. Ils se ressentent du caractère particulier