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vigilance active de la part du gouvernement, l’adoption de mesures plus sages de la part des propriétaires, l’habitude que les Javanais ont acquise par degrés de cette domination directe, ont amélioré naturellement ce triste état de choses, surtout aux environs de Batavia. Cependant, lors de notre dernier séjour à Java, un événement déplorable est venu démontrer que les conséquences funestes de l’administration directe des terres par les Européens étaient encore à redouter. Le propriétaire européen de Tchykandi, terre située sur la limite des résidences de Batavia et de Bantam, avait été massacré avec toute sa famille par une troupe de 500 habitans de sa propre terre, et, afin qu’il ne pût s’élever de doutes sur le motif de cet acte de barbarie, les meurtriers avaient eu soin de laisser intacts le mobilier et les moindres effets de leurs victimes. Dans les convictions de ces malheureux, ce n’était pas un crime qu’ils commettaient ; ils exerçaient une vengeance légitime[1].

Là où le sol est encore le domaine de l’état, c’est-à-dire dans la majeure partie de Java, où la propriété foncière individuelle est inconnue et où le commerce et l’industrie ne sont pas encore devenus les sources du bien-être général, les classes intermédiaires se composent presque uniquement des officiers civils que le prince, possesseur général des terres, commet à l’administration de ses domaines. Leur nombre est assez grand et la hiérarchie assez habilement ménagée, ainsi que nous l’avons déjà fait entrevoir, pour que la pente qui mène du prince au laboureur soit douce et la tranquillité de la société assurée. Le dernier échelon de l’organisation gouvernementale est le dessa, la commune. C’est le nœud sacré qui maintient l’intégrité du pacte social. Choisie par les habitans des villages, l’administration communale a conservé la liberté de son action, et toutes les dispositions gouvernementales relatives aux communes témoignent d’un respect louable pour cette liberté[2].

L’article 98 du règlement organique déclare que la population indigène jouit de la protection spéciale du gouvernement, et que toutes extorsions, vexations et mesures arbitraires à l’égard des personnes, biens ou travaux des indigènes, sont expressément défendues et seront sévèrement punies. Il ordonne que toutes facilités soient données aux indigènes pour faire entendre librement leurs plaintes. Les terres du gouvernement

  1. Plusieurs membres des états-généraux avaient soulevé en 1847 la question de savoir s’il ne conviendrait pas, pour contribuer au prompt amortissement de la dette nationale, de recourir à une vente des terres à Java sur une vaste échelle. Le ministre des colonies, dans le discours cité précédemment, fit justice de cette suggestion imprudente.
  2. Les droits et les devoirs des gouverneurs, des résidens et des régens indigènes sont liés de la manière la plus intime à cette organisation communale et aux coutumes dont l’ensemble est emphatiquement désigné à Java par le mot adat, emprunté comme les coutumes elles-mêmes à l’Inde antique.