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donné rendez-vous dans les lagunes vénitiennes, et chaque jour voit arriver de nouveaux défenseurs autour de ce dernier boulevard de notre indépendance.

Depuis l’occupation de la terre ferme par les Autrichiens, depuis les croisières de leurs bâtimens dans l’Adriatique, tout commerce a cessé à Venise, et pas un florin ne lui est venu du dehors. Les dépenses ordinaires mensuelles, que le ministre des finances évaluait, au mois de juillet dernier, à 2,200,000 francs, ont été augmentées depuis par l’arrivée de nouvelles colonnes de volontaires. Venise a commencé par s’adresser à toutes les villes italiennes, et même aux villes étrangères, pour obtenir un emprunt ; on a ouvert partout des souscriptions mensuelles. Il nous en coûterait trop pour l’honneur de l’Italie de dire ce que ces démarches ont produit. Il a été question ensuite de donner pour garantie à l’emprunt quelques-uns des magnifiques objets d’art qui abondent à Venise ; mais les scrupules de l’administration n’ont jamais fléchi sur ce point. Ces trésors n’appartiennent pas seulement à la génération actuelle, a-t-on dit ; nos ancêtres nous ont légué, dans ces chefs-d’œuvre, quelque chose de leur génie et de leur ame que nous devons transmettre à nos enfans. Nous saurons défendre et sauver la patrie sans la dépouiller. — On se demande avec effroi comment une telle situation peut durer. Un dévouement, une patience à toute épreuve, peuvent seuls l’expliquer. La stagnation absolue de tout commerce, de toute industrie et de tout travail, a forcé l’état de prendre des mesures extrêmes pour secourir les classes pauvres. Les riches capitalistes vénitiens se sont empressés de lui venir en aide. Des bons ont été émis par le gouvernement pour la somme de quatre millions, et vingt des principaux propriétaires de Venise se sont engagés à rembourser les détenteurs de ces bons. La parole de ces généreux citoyens inspire une telle confiance, que le papier-monnaie de Venise, attaquée en ce moment par mer et par terre, a été accepté au pair dans toute l’Italie. D’après un calcul fait récemment, les citoyens de Venise auraient à cette heure livré à la république ou répondu en son nom pour la somme de trente millions. Cet argent est exporté par la voie de mer en échange de vivres dont la ville ne peut se passer, et qu’elle est absolument forcée de tirer du dehors.

Au milieu de tant de misères, privé de toute ressource, menacé de la mort ou de l’esclavage, le doux peuple vénitien déploie toute la fermeté des anciennes populations du midi de l’Italie ou de la Grèce. Il peut voir du haut de ses murailles les uniformes blancs s’étaler sur les vertes prairies de Mestre et de Fusine, et le bruit du canon ennemi le poursuit jusque dans son sommeil. Jamais pourtant, depuis que ce terrible état de choses dure sans interruption, jamais le courage, la constance, l’humeur gaie et sereine de ce peuple, n’ont reçu de démenti.