c’est-à-dire en excitant la raison à soumettre à ses investigations et à ses lois toutes les idées qui dirigent l’homme et les sociétés ; par la liberté civile et politique, c’est-à-dire en demandant compte à toutes les institutions de leur origine, de leur utilité et de leur fin, en substituant graduellement, dans le gouvernement des peuples, comme mobile, l’intérêt général au privilège de quelques-uns, et comme moteur, la discussion, qui est l’arme égale de tous, à la force, qui est le monopole du petit nombre. Telle est, dans l’ordre moral, l’aspiration et l’œuvre de l’humanité depuis trois siècles ; c’est ainsi qu’elle a travaillé à s’organiser conformément à sa raison et à son libre arbitre. Mais, dans le même temps, par les sciences physiques, par la navigation, par la colonisation, par l’industrie, par le commerce, la civilisation européenne prenait possession de la terre entière et s’emparait aussi de la nature. Deux mots ont désigné ces conquêtes simultanées et progressives : l’une, par laquelle l’humanité se rendait maîtresse d’elle-même, s’est appelée liberté ; l’autre, par laquelle elle s’appropriait la nature, s’est appelée richesse. Or, aujourd’hui, ces deux grands développemens de la civilisation, leur première évolution accomplie, se rencontrent face à face. En effet, à mesure que l’homme collectif poursuivait son œuvre, un travail analogue et parallèle s’opérait au sein des sociétés particulières : les classes dans les sociétés et les individus dans les classes aspiraient et atteignaient graduellement à la liberté et à la richesse. L’on devait donc prévoir que le jour viendrait, et il est venu, où les derniers arrivés, les plus nombreux, demanderaient leur part de la liberté et de la richesse. Voilà la nécessité historique de la révolution actuelle ; le jour devait aussi venir, par conséquent, où ils exigeraient que la raison, qui a établi son empire sur la politique, l’étendît plus loin encore et organisât dans l’intérêt de tous, suivant les lois de la science et de la justice, la possession de la nature par l’homme, c’est-à-dire la production et la distribution des richesses. Voilà le problème posé par la révolution actuelle ! On ne nous reprochera point d’en affaiblir l’énoncé et d’en dissimuler la grandeur.
Nous croyons, en effet, que ceci est un grand moment dans l’histoire du monde. Le choc qui heurte les sociétés dans leur constitution économique les a ébranlées dans tous leurs fondemens, et réveille, car tout se tient à la racine des choses, les plus graves débats de religion, de philosophie et de politique qui aient ému l’Europe depuis trois siècles. Il serait donc intempestif d’atténuer les difficultés ou de s’y jouer. Il faut regarder le sphinx en face quand, pour les sociétés modernes, le mot caché sous l’énigme est restauration ou mort.
Le délire des idées qui accompagne les révolutions est plus funeste et plus redoutable que l’instinct impétueux et la chaleur du sang qui les font éclater. Tous les mouvemens sociaux enfantent leurs théoriciens