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La démocratie socialiste est désormais une conception philosophique rigoureuse et réelle ; elle ne se fait plus avec des lambeaux de christianisme un vêtement de sacrilège mascarade. Par l’organe de deux hommes en qui se personnifient ses deux tendances les plus diverses, elle répudie avec éclat le dogme chrétien, en proclame la fin et prétend s’emparer de son héritage. Elle saisit l’homme tout entier et se charge de lui révéler les véritables lois de son être, de répondre à tous les besoins, à tous les désirs, à tous les développemens de sa nature, en un mot, de résoudre tous les problèmes de sa destination. Jamais tentative philosophique ne se présenta en des circonstances plus solennelles et plus menaçantes ; jamais occasion plus facile ne s’offrit à aucun système métaphysique d’établir son ascendant sur les sociétés, car celui-ci a pour complices la souffrance qui pleure au cœur des masses, l’illusion qui les enivre, la passion révolutionnaire qui les emporte. A vos postes donc, et unissez une fois vos armes de combat, gardiens de la société chrétienne et de la société civile, voilà l’ennemi ! Tandis qu’il s’avançait dans l’ombre, tandis que la conspiration philosophique et politique la plus gigantesque qui se soit vue depuis des siècles s’ourdissait à nos pieds sous les catacombes, — rappelons-le à notre confusion, — nous, comme des Grecs bavards, nous bataillions de la langue et de la plume pour la philosophie de salon qui disserte, sous les palmes vertes, sur un fauteuil d’académie, ou pour la philosophie de baccalauréat infligée comme un pensum aux collégiens de seize ans !

Du reste, sans la malfaisante influence que lui prête le malheur des temps, malgré l’arrogance de ses critiques et la superbe de ses conclusions, la philosophie de la démocratie socialiste ne résisterait pas plus que son économie politique à la raison libre et désintéressée. J’en commence l’épreuve par le système de M. de Lamennais.

Ne vous semble-t-il point que personne, en ce siècle, ne devait mieux sentir ce que l’ame humaine exige des systèmes religieux et philosophiques que l’auteur orageux de l’Essai sur l’Indifférence, car est-il quelqu’un qui ait plus connu que lui les inquiétudes de la raison poursuivant la vérité fuyante ? L’homme est sur la terre et cherche cette satisfaction des lois de sa nature que nous appelons le bonheur. Vous qui croyez avoir trouvé le but où tend l’aspiration de l’homme, vous n’aurez justifié votre prétention que lorsque vous aurez répondu à ces interrogations qui pressent sans trêve l’esprit humain : — Qu’est-ce que l’homme ? d’où vient-il ? Qu’est-ce que la création ? Qu’est-ce que Dieu ? Quelle est la destinée de l’homme sur la terre et au-delà de la mort ? Qu’appelle-t-on bien et mal ? Quelle est cette liberté, ce pouvoir qui est en l’homme de faire le bien ou le mal ? Quelle est la sanction morale des actes humains, etc. ? — Questions inhérentes à la nature humaine, qui circulent en elle avec la vie, que rien n’en peut arracher,