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est donc le plus conséquent des socialistes. Don Juan, a-t-il écrit quelque part, est aussi ancien que le monde. Quand le socialisme prophétise au peuple les jouissances matérielles sous l’invocation du blasphème, il me semble voir, en effet, don Juan tentateur faisant l’aumône au pauvre de la forêt : « Tu passes ta vie à prier Dieu, et tu meurs de faim !… Je m’en vais te donner un louis d’or tout-à-l’heure, pourvu que tu veuilles jurer. »

Mais, comme le crie la voix céleste dans le Paradis du Dante, « ô égarement des préoccupations humaines ! qu’ils sont faibles et défectueux ces raisonnemens qui appesantissent le vol de l’ame sur les bassesses de la terre ! »

O insensata cura dei mortali :

Quanto son difettivi sillogismi

Quei che ti fanno in basso batter l’ ale !


En vain, dans sa froide exaltation, M. Proudhon dit à l’humanité : « Il faut que vous saisissiez les rênes du progrès, ces rênes qu’a tenues seules jusqu’ici l’incompréhensible Providence !… La Providence qui nous a conduits jusqu’à cette heure est incapable par elle-même de nous mener plus loin. À l’homme de prendre sur le char la place de Dieu !… » La conscience se soulève tout entière contre ce hideux cri de rage d’un orgueil aride dont les excès mêmes proclament l’impuissance. Pour fuir l’horreur de ces sinistres conséquences qui la remplissent de désolation, elle se réfugie dans la foi avec une confiance plus vivace. L’humanité est trop enveloppée de misères et de faiblesses pour s’enrôler dans cette insurrection de Titan. Des multitudes en démence pourront bien répondre un jour par le meurtre à l’impie férocité de provocations comme celles-ci : « Non ! par les flammes de Némésis, quand le peuple ne se venge pas, il n’y a plus de Providence. » Mais l’humanité ne peut croire à une doctrine désespérante, qui, irritant jusqu’à la fureur le sentiment de nos maux, nous emprisonnant sur la terre et nous interdisant de chercher les consolations et le repos plus haut et plus loin, déchaînerait sur cette vie tous nos désirs et toutes nos convoitises, nous mettrait les armes aux mains pour disputer à nos semblables la plus fugitive apparence du bien-être et du plaisir, transformerait ce monde en un radeau de naufragés s’entredévorant sur un océan noir et sans rivages, et ferait naître tous les crimes de la société même instituée pour les prévenir.

La foi se redresse donc victorieuse sous le choc de ce duel à outrance. La foi seule, aujourd’hui comme au temps de saint Augustin, comme au temps de Bossuet, explique aux hommes la signification de la vie. Avec elle renaît l’amour, et le sacrifice retrouve un aliment et une sanction. Tout prend un sens : la résignation qui l’accepte et la charité qui la soulage savent ce qu’est la souffrance. La vie présente