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s’élève et s’épure en se reflétant sur l’immortalité. L’homme, au lieu de pousser ces cris de désespoir que lui arrache le vide des satisfactions humaines quand il les a goûtées, bien plus douloureusement que leur mirage lorsqu’il les poursuit sans les atteindre, sait que la vie, suivant le mot de Bossuet, est l’apprentissage de la mort. La liberté est comprise, et en même temps la destination de l’individu et la marche providentielle de l’humanité. C’est la liberté qui périt sous les systèmes socialistes. Le socialisme s’occupe exclusivement de l’humanité. Il voit la forêt et n’aperçoit pas les arbres. Il organise la vie sociale et après il abandonne l’individu, sans songer que toutes les altérations du milieu qu’il traverse ne changent rien à la nature de l’homme personnel et libre ; qu’on n’a rien fait pour son bonheur et sa sécurité en augmentant les objets de ses désirs et le cercle de sa puissance ; que tout dépend enfin du choix de sa liberté et de la façon dont elle gouverne ses facultés agrandies. Il est faux, et il répugne au christianisme comme à notre nature, que les destinées de l’individu soient asservies aux destinées prétendues de cet être abstrait, impersonnel, idéal, qu’on appelle l’humanité. L’humanité, quelle est cette femme ? pourrait-on demander en répétant la question de M. de Maistre sur la nature. L’humanité, collection d’êtres individuels et libres, n’est pas la fin de ces êtres, elle n’est que le milieu où s’accomplit leur développement moral, le champ qu’ils traversent pour étendre et exercer leur liberté. Elle ne peut pas renfermer une loi supérieure à celle qui gouverne l’homme réel, l’individu. Le moyen ne peut être plus grand que le but. L’humanité, c’est-à-dire la marche des sociétés, c’est-à-dire encore le progrès dans toutes ses applications à la science, à la politique, à l’économie politique, à l’industrie, n’a donc qu’une loi : ce n’est pas la poursuite du bonheur, c’est l’augmentation indéfinie des forces soumises à la liberté humaine, c’est l’accroissement incessant de la liberté de chaque homme. Dieu l’a voulu ainsi, en assignant pour mission à l’homme sur la terre, d’un côté la conquête de la nature qui multiplie les moyens d’action de la liberté, et de l’autre la victoire de la liberté sur elle-même par son sacrifice volontaire au devoir. Nous savons donc où nous allons ; nous savons qu’en politique comme en économie politique, nous devons, d’un effort constant, travailler à délivrer tous les hommes de l’esclavage de misère physique et d’ignorance morale dont nous ne secouerons jamais sur la terre les dernières chaînes ; nous savons qu’il ne saurait y avoir de vérité en politique et en économie politique dans des systèmes qui feraient violence à la liberté humaine ; nous savons par conséquent que le socialisme, partant d’une imposture philosophique, doit aboutir fatalement à une absurdité économique.

Eugène Forcade.