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mentaire ; nous admettons volontiers qu’il en est de ce théâtre comme des autres : il n’y manque jamais de ficelles ni de machines. Nous prenons seulement la scène comme elle est, et, la scène donnée, nous regardons jouer l’acteur. Même appris d’avance, le rôle n’en est pas plus facile à dire, parce qu’il faut toujours le sentir en le disant. Le général Cavaignac a profondément senti le sien, c’est pour cela que nous l’estimons.

Voici où était l’affaire : M. Garnier-Pagès et M. Barthélemy Saint-Hilaire, avec leurs amis MM. Pagnerre et Duclerc, tous anciens membres ou subordonnés de la commission exécutive, avaient gardé des journées de juin un souvenir particulièrement défavorable au général Cavaignac. Considérant du point de vue d’une relation privée les relations politiques qui les avaient unis au chef actuel du pouvoir exécutif, ils ne lui pardonnaient pas la brusquerie de sa rupture, et ce ressentiment se mêlait à des doutes sérieux sur la bonté des mesures prises par le général durant la bataille ; ils n’étaient pas éloignés de penser qu’il y avait eu contre eux un complot parlementaire auquel M. Cavaignac avait donné plus d’attention qu’au progrès des insurgés. Aucun de ceux qui partageaient cette opinion ne s’en étant caché, elle avait transpiré facilement et alimenté des rancunes dont l’acrimonie et la violence ont peut-être fait plus de bien que de mal à celui qui en était l’objet. M. Barthélemy Saint-Hilaire, dans un esprit de droiture et d’honnêteté que personne ne lui conteste, avait lui-même rédigé l’histoire de ces cruelles journées, dont les angoisses avaient été doublées pour lui par des défiances malheureuses. C’est cette histoire que M. Barthélemy Saint-Hilaire est venu lire à la tribune sur la provocation directe du général Cavaignac.

Pas plus que l’honorable auteur de ce fragment, historique, nous ne sommes des tacticiens et nous n’avons la prétention de savoir au juste où placer des régimens dans une ville en feu. Nous ne voulons donc raisonner ni sur la concentration, ni sur la dispersion. Nous avouerons pourtant qu’il nous plairait médiocrement d’avoir toujours, en cas d’émeute, l’honneur trop prolongé du premier feu, et nous ne goûtons pas plus que personne un système dont le beau serait de faire tuer le bourgeois en attendant que le soldat s’apprête. Nous inclinons même à penser que cette prétendue concentration n’a servi qu’à masquer l’absence d’un nombre de troupes suffisant, et nous déplorons que ces troupes n’aient pas été là. Ce qu’il y a de sûr, c’est que le général avait toutes celles qu’on lui avait commandé d’avoir ; ce qu’il y a de sûr, c’est qu’en se reportant à l’esprit de l’époque, on trouve qu’on avait alors regardé comme une victoire signalée de l’ordre sur le désordre d’avoir pu ramener ces seuls régimens dans Paris. Tout cela dit, nous ajoutons que la question pour nous n’est pas là. Il ne s’agit pas, à propos de la présidence, d’examiner le général Cavaignac sur ses talens militaires ; il s’agissait de son caractère politique.

Par deux points, ce caractère restait obscur, et d’abord le général avait-il trempé dans une intrigue de couloir et de bureau qui l’eût uniquement préoccupé au milieu même des angoisses de la patrie ? M. Barthélemy Saint-Hilaire a lui-même reconnu avec une loyauté trop honorable pour équivaloir à une rétractation que sa plainte n’allait point jusque-là. N’allant point jusque-là, que signifiait-elle, et quel intérêt public l’obligeait à la formuler ? Ce qu’il en est resté, c’est que le général Cavaignac ne s’était pas bien pénétré de toute la reconnais-