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venable de voter dans la question du droit au travail. Aujourd’hui nous ne doutons plus que M. Louis Bonaparte ne soit bien et dûment acquis à la sainte cause de la vieille propriété ; nous reconnaissons qu’il se propose de défendre l’ordre de notre société moderne et non pas l’ordre tombé de la société impériale. Son manifeste a paru fort à propos, au moment où le public était encore ému du succès de son rival. La diversion était adroite, c’est toujours quelque chose ; de plus, elle n’était pas compromettante, car, en matière de manifeste, on ne peut guère être battu : on fait défaut aux interlocuteurs. Personne n’attend de nous l’admiration béate inspirée par cette pièce aux fervens adorateurs du prince Louis ; nous n’ignorons pas qu’elle n’a point passé sans reproche auprès de ses amis sérieux, et, quoiqu’on veuille l’attribuer à d’autres que lui, nous avons au contraire toute l’inclination du monde à la prendre pour son œuvre. Cette œuvre ne nous enthousiasme pas jusqu’au point de dire qu’elle est un modèle de style et d’idées ; nous en ferons pourtant volontiers cet éloge, qu’elle n’est point d’un français académique, et nous l’aimons beaucoup mieux ainsi que si elle eût été arrangée dans l’école des penseurs. Elle dit en soi beaucoup de bonnes choses. On y trouve de bons sentimens qui ont l’avantage de n’être pas neufs, de bons principes dans lesquels on peut se retourner. Bref, c’est bien, c’est très bien. De ce côté-là comme de celui du général Cavaignac, c’est notre drapeau qu’on salue, et nous en sommes en vérité bien flattés ; mais, dans l’excès de notre plaisir, nous ne pouvons pas non plus exagérer notre reconnaissance. Nous-mêmes, qui n’avions pas précisément de penchant inné pour la candidature de M. Louis Bonaparte, nous pèserons cependant à son poids le premier titre personnel qu’il ait mis maintenant dans la balance. Ces paroles, où il y a du sens et de la sincérité, ont été à notre adresse comme à celle du public. Ce n’est pas le tout malheureusement de les écrire, reste à les appliquer.

Le manifeste de M. Louis Bonaparte était un coup auquel le général Cavaignac n’aurait pas eu tout de suite réponse prête. Viennent avant-hier les nouvelles d’Italie. Le pauvre pape, resté sans défense après l’horrible assassinat de M. Rossi, est tombé aux mains de l’émeute : les dépêches de M. d’Harcourt retracent une situation des plus critiques ; le grand club romain, le Cercle populaire, mène toute la ville et dicte ses ordres au saint père, impuissant à résister. Le bruit enfin court un peu vite que Pie IX, prisonnier de ses sujets, n’est plus même libre de sa personne. À quoi se résoudre en pareille occurrence ? Le gouvernement prend une initiative qu’il n’a pas soutenue aujourd’hui avec assez de présence d’esprit, avec assez de naturel : il envoie un représentant, M. de Corcelles, protéger à Rome le saint père outragé ; il lui confie sous sa responsabilité l’emploi de trois mille cinq cents hommes que portent cinq frégates ; il fixe un but unique à cette soudaine expédition, la mise en sûreté du pontife. Point d’intervention politique jusqu’à plus ample informé. Nous ne cacherons point que cette décision nous plaît, pourvu que l’on n’ait pas trop anticipé sur les événemens. Ce n’est pas nous qui blâmerons la république française de faire face quelque part à la démagogie, pourvu qu’il soit démontré par l’avenir que cette intervention limitée était autre chose qu’un coup de tête. Nous comprenons qu’il y ait eu peut-être dans la promptitude avec laquelle on s’est déterminé une espérance de popularité. Si cette honorable séduction n’a point couvert, aux yeux du général Cavaignac, quelque démarche dont il faille ensuite