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alors aux avances indirectes de la Revue nationale. M. Dechamp (pourquoi craindrions-nous de trahir l’anonyme, puisque c’est moins pour le blâme que pour l’éloge ?), M. Dechamp reconnaît implicitement la faute qui fut alors commise par les siens. C’est aux libéraux de prendre à leur tour conseil de cette expérience.

S’il glisse assez légèrement sur les prémisses, M. Dechamp pose nettement cette conclusion au chef de la nouvelle majorité. « Ce serait une folie, dit-il à M. Rogier, de se conduire de manière à décourager le dévouement et le patriotisme des catholiques, à pousser dans l’opposition une opinion considérable, essentiellement nationale et conservatrice, s’appuyant sur les deux choses que tous les hommes sérieux en France veulent surtout aujourd’hui ménager et défendre la propriété et les idées religieuses ! » Nous irons plus loin : ce serait là, de la part de M. Rogier, une double folie. Il y jouerait d’abord l’avenir de la nouvelle majorité. C’est pour s’être montrés exclusifs au pouvoir que les catholiques ont rapproché les doctrinaires et les ultra-libéraux, coalition qui a mis cinq ans à peine à s’emparer des affaires. En se montrant à son tour exclusif, le parti libéral ne s’exposerait-il pas à rapprocher les catholiques des radicaux ? Quelque profond que soit l’abîme entre ces deux fractions, on a vu la rancune, la susceptibilité irritée en combler de plus vastes. En fait d’alliances imprévues, monstrueuses, n’avons-nous pas vu chez nous, sous le dernier règne, celle des légitimistes et des républicains ? En repoussant d’une façon trop absolue le concours des catholiques, M. Rogier mettrait d’autre part en question les intérêts les plus fondamentaux du pays. La situation de la Belgique est aujourd’hui aussi périlleuse que la nôtre. Depuis qu’il ne reste plus aux Belges une seule liberté sérieuse à réclamer, les radicaux extrêmes ont tourné leurs attaques contre la propriété. Devant cette propagande dissolvante, la neutralité seule des catholiques, ou, pour parler plus clairement, du clergé, serait un danger grave. Le dénûment des populations a atteint, dans certains districts flamands, les limites de l’horrible. Si ces populations ont fait crédit à la société de dix ans de misère sans profiter de la panique de février pour lui présenter son protêt, si elles ont su rester calmes devant d’indignes provocations, même à l’issue des deux épouvantables famines qui ont signalé pour elles les deux derniers hivers, c’est au sentiment religieux dont elles sont animées qu’il faut surtout en rendre grace. La misère persiste et la propagande communiste ne se tait pas ; raison de plus pour intéresser le clergé à redoubler de zèle, et on ne l’y intéresserait pas en le froissant.

C’est surtout en politique que les bons comptes font les bons amis, et, dans cette liquidation du passé qu’il entreprend, l’ancien ministre des affaires étrangères de Belgique est naturellement amené à présenter le bilan des services et des fautes de chaque parti. Il promet de parler des catholiques et des libéraux avec le même sang-froid qu’il le ferait a des guelfes et des gibelins, » ce qui ne l’empêche pas d’être un peu guelfe par momens, mais qui lui en ferait un crime ? M. Dechamp rachète cette partialité inévitable en déclarant, avec une remarquable franchise, que les anciens griefs des catholiques contre les libéraux n’ont pas été justifiés par l’expérience. Ces griefs étaient de deux natures : les uns se rattachaient à la nationalité même, les autres aux institutions. Les catholiques, d’après M. Dechamp, regardaient d’abord le libéralisme belge comme un renfer-