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un congrès, tout l’avantage serait pour nous. Appuyés sur la Prusse et l’Autriche, nous pouvions faire successivement tête à l’Angleterre et à la Russie. Nous étions comme assurés d’avance de nous trouver presque toujours quatre contre un, et, dans la plus fâcheuse hypothèse, tout au moins trois contre deux. Sur quelles fausses données reposait tant de confiance ? Nos lecteurs le savent déjà. Sans doute, nous étions dans les meilleurs termes avec la Prusse ; mais notre intimité tenait surtout aux dispositions personnelles de son vieux monarque, et l’ordre naturel de succession pouvait d’un jour à l’autre remplacer cet utile allié par un prince dont les sympathies ne nous étaient pas acquises. Il est vrai, l’Autriche nous témoignait de récens égards, elle laissait apparaître une recrudescence de dépit contre les empiétemens de la Russie ; mais était-il prudent de faire grand fonds sur les résolutions vacillantes de son ministre dirigeant ? Afin de se donner une fois de plus la dangereuse satisfaction de nous remettre dans l’isolement, ces deux puissances ne se rapprocheraient-elles pas au moment décisif des cours de Londres et de Saint-Pétersbourg ? Contre une telle éventualité, nos garanties étaient bien précaires. Les pièces que nous avons citées au sujet des affaires d’Espagne et de Grèce ont assez fait voir de quelle façon l’alliance française était pratiquée par le ministre des affaires étrangères du cabinet whig. Quant à l’antagonisme traditionnel qui, dans la question d’Orient, avait jusqu’alors divisé la Russie et l’Angleterre, à peine subsistait-il encore en apparence, et tout au plus à l’état de préjugé chez les deux nations. Les chefs qui traitaient pour elles, le czar et lord Palmerston, s’en étaient aisément et complètement affranchis. De nouvelles et plus vives rancunes leur tenaient au cœur. Ils ne souhaitaient qu’une chose : pouvoir, avec quelque apparence de raison, dénoncer notre ambition aux autres cours et les rallier contre nous. Le programme de politique orientale lancé du haut de la tribune française leur vint merveilleusement en aide. Les phrases innocentes dans lesquelles notre orgueil national s’était complu furent représentées comme les indices des plus dangereuses menées, et les indications pacifiques du rapporteur de la commission furent presque travesties en plans de campagne. Ainsi, les desseins patriotiques de nos chambres tournaient à notre détriment. Notre parlement nuisait à la cause qu’il voulait servir : il rendait le succès à peu près impossible au moment même où il le prescrivait. « Cette grande question et ce grand débat, disait M. Jouffroy, prononçant les derniers mots qui servirent de clôture et de résumé à la discussion, imposent au cabinet une immense responsabilité. En recevant de la chambre les 10 millions qu’il est venu lui demander, il contracte un solennel engagement. Cet engagement, c’est de faire remplir à la France, dans les événemens d’Orient, un rôle digne d’elle, un rôle qui ne la laisse pas tomber du rang élevé qu’elle occupe en Europe.