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l’état violent où elles avaient contribué à mettre l’Europe, et combien il leur tardait de voir s’apaiser l’orage que leur imprudence avait laissé se former.

Mais à quoi bon s’appesantir sur des chances heureuses que la fortune cruelle nous a refusées ? Méhémet-Ali s’imagina lire l’arrêt du destin dans la reddition de la place de Saint-Jean-d’Acre. Les Orientaux ne connaissent guère le point d’honneur ; le fatalisme rend la résignation facile. En acceptant si vite les conditions contre lesquelles il avait tant protesté, le vice-roi témoignait que, si elles amoindrissaient son crédit, elles ne ruinaient pas entièrement sa puissance, et l’événement a ratifié son jugement. Comment nous serions-nous montrés pour lui plus difficiles qu’il ne l’était lui-même ? Notre argumentation diplomatique avait reposé sur cette hypothèse, que le pacha résisterait, qu’il résisterait long-temps, de façon à troubler la paix de l’Europe et la sûreté de l’empire ottoman. Il était fâcheux de s’être trompé sur le degré de volonté ou d’énergie du pacha ; c’était un malheur, une faute peut-être : ce n’était pas une raison pour prendre en main la cause du vice-roi, quand il s’abandonnait lui-même, et allumer ainsi un incendie qui ne s’allumait pas tout seul. Beyrouth, Saint-Jean-d’Acre et Damas ne valaient ni Varsovie ni Bologne. Après avoir, avec raison, laissé tomber en Occident les grandes questions de Pologne et d’Italie qui s’étaient soulevées d’elles-mêmes, comment aurions-nous pu sensément relever en Orient celle que le vice-roi laissait choir misérablement ?

Cependant le ministère du 1er mars avait profité de la gravité des circonstances pour réparer une négligence fatale, commune à presque tous les pays constitutionnels. Nos approvisionnemens de guerre avaient été épuisés au jour le jour par les envois faits à l’armée d’Afrique, ils n’étaient plus au niveau des besoins de notre défense nationale ; le gouvernement les mit sur un pied tel qu’ils pussent suffire à toutes les nécessités du moment. Nos places fortes et nos côtes reçurent les complémens d’armemens dont elles étaient dépourvues. Les fortifications de Paris furent décrétées par ordonnance, et les chambres immédiatement convoquées. Le gouvernement avait le droit, peut-être le devoir de prendre toutes ces résolutions ; aucune ne dépassait absolument la mesure de précaution commandée par les événemens. L’ensemble de ces résolutions excita en France une vive émotion et jeta dans les esprits un trouble extraordinaire. Qui ne se souvient de l’effroi des uns, de l’exaltation des autres ? On perdit à l’instant de vue l’origine du dissentiment. C’était bien des intérêts du pacha qu’il s’agissait ! Il s’agissait de la paix ou de la guerre, non point d’une guerre circonscrite, spéciale, si l’on peut s’exprimer ainsi, mais d’une guerre générale, sans limite dans son but et dans ses conséquences !