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consacré chez eux une révolution pareille à celle des Valaques. Si donc Riza-Pacha était plus long-temps resté en possession de son influence sur les résolutions du sultan, peut-être eût-on vu ce spectacle nouveau et magnifique des Turcs réunis aux chrétiens de l’empire pour une résistance commune, et au besoin pour une guerre libérale et nationale contre les iniques prétentions de la Russie. Malheureusement l’entrée du timide Reschid-Pacha dans le ministère, ses conseils de prudence européenne, la réserve de son esprit vacillant, ruinèrent cette bonne pensée par laquelle la Turquie allait peut-être mériter la reconnaissance de ses populations chrétiennes et donner à l’Europe une grande preuve de vitalité politique.

Si la Russie eût pu craindre de rencontrer devant ses pas, soit une protestation, soit une résistance armée de la Turquie, se fût-elle aventurée sur ce terrain brûlant de l’intervention ? Elle sait par les leçons de son histoire, depuis Catherine, qu’elle ne peut guère attaquer la Turquie avec avantage sans l’aide des populations chrétiennes des deux rives du Danube, et cette fois elle était hautement menacée, elle était sûre de les avoir en face d’elle, si la Turquie prenait le parti de la guerre. Enfin, la Russie n’ignorait point que, si la puissance militante de la France était pour quelque temps paralysée par des embarras intérieurs, son influence morale, sa puissance révolutionnaire, n’avaient pas cessé d’être redoutables à l’extérieur ; mais la Turquie s’étant défiée d’elle-même, et la France républicaine n’ayant pas voulu se servir de la vertu de ses principes et de son nom, la Russie avait trop beau jeu pour ne pas marcher ouvertement à la défense de son protectorat, foulé aux pieds par la démocratie valaque. Une force imposante passa donc le Pruth, le 1er août, pour occuper la Moldavie et marcher, s’il y avait lieu, sur Bucharest.

Le cabinet de Saint-Pétersbourg donna connaissance de cet événement à l’Europe dans un manifeste en date du 19 juillet, où la question était dénaturée avec beaucoup d’art, et l’esprit moderne raillé avec une ironie dont on ne saurait nier la fierté. Le manifeste commençait par affirmer un fait contestable et contesté, à savoir que la puissance suzeraine s’était entendue avec la cour protectrice pour combiner une coopération militaire. Les Russes avaient franchi pour la première fois la frontière sur la seule demande du gouvernement moldave, et ils la passaient la seconde fois spontanément par une disposition spéciale à leur politique. A la vérité, par suite de cette mesure attentatoire aux droits de la Porte ottomane, comme à ceux des Valaques, l’armée du sultan placée en observation dans la Bulgarie était en quelque sorte contrainte d’entrer sur le territoire valaque pour y représenter du moins le fantôme de la suzeraineté à côté du protectorat. S’il fallait, pour sauver la paix de l’Orient, que la révolution valaque