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fût étouffée, les Turcs voulaient se réserver le privilège de faire la police dans l’empire et tenir, suivant leur droit, les Russes sur le second plan. La Turquie d’ailleurs n’était animée d’aucune haine, d’aucun esprit de vengeance à l’égard des Valaques, dont elle n’entendait pas sans émotion le langage respectueux et dévoué. Ses intérêts ; ses sentimens, lui conseillaient d’entrer chez eux sur le pied de l’amitié. Elle n’agissait donc pas de concert avec l’armée russe, mais par des considérations particulières de nécessité et de convenance, par des raisons de devoir à remplir et de droit à sauvegarder comme puissance suzeraine en face de la puissance protectrice. C’était le premier point sur lequel le manifeste trompait l’Europe.

Il essayait toutefois de la rassurer dans ses susceptibilités, dans ses craintes, ou du moins dans les susceptibilités et les craintes qu’il affectait de lui supposer. Le czar n’ignorait pas, d’après le manifeste, que l’intervention dans les principautés était de nature à produire un grand retentissement. Néanmoins elle n’avait rien de menaçant pour les états voisins. La Russie reconnaissait aux états qui traitaient avec elle de puissance à puissance le droit de modifier leurs institutions ; mais il en était autrement pour les principautés, états non reconnus, simples provinces dont l’existence politique était réglée par des conventions sans aucun lien avec le droit public de l’Europe. Les Moldo-Valaques ne pouvaient rien changer à leur constitution sans le consentement préalable de la cour protectrice et de la cour suzeraine. L’amour maternel que la Russie portait à ces populations lui conseillait de comprimer chez elles tout essai de démocratie, en même temps que l’intérêt profond, inaltérable, dont elle était animée envers les Turcs, lui commandait de réprimer les ambitions nationales de la Romanie. Que voulaient en effet les Moldo-Valaques, sinon établir, sous prétexte d’une origine antique, un royaume indépendant dont l’indépendance serait un funeste exemple pour la Bulgarie, la Romélie et toutes les races diverses répandues dans le sein de l’empire ottoman ? La Russie intervenait donc pour le bonheur de la Moldo-Valachie, troublée par la propagande démocratique et socialiste, et pour le maintien de l’intégrité de la Turquie, menacée par le principe des races. Au reste, les troupes russes, une fois l’ordre rétabli dans les principautés, devaient repasser le Pruth scrupuleusement, reprendre la position offensive qu’elles occupaient primitivement sur la frontière, et assister ainsi, l’arme au bras, au spectacle des révolutions intestines des états indépendans, sans songer à exploiter leur impuissance et leurs embarras du moment. Les Valaques étaient donc condamnés à régler le progrès de leurs libertés sur le progrès des libertés russes, eussent-ils même obtenu l’assentiment de la Turquie à leurs réformes, et la Russie osait invoquer à l’appui de ce supplice moral le texte même des traités. Sur ce point, la