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1789, fondateurs de la liberté moderne, n’eussent pas hésité devant leur œuvre, s’ils avaient pu voir à travers quels débris sanglans ils devaient s’ouvrir un passage ? Ils ont marché cependant, parce que leurs yeux, éblouis par l’éclat du but, ne voyaient pas l’abîme. La plupart ont péri, peu ont gagné l’autre rive ; mais le genre humain s’y est trouvé avec eux, et a définitivement conquis d’inestimables biens. C’est ainsi qu’il en sera pour la Hongrie. Je me rappelle un passage d’un de vos auteurs modernes, qui me semble s’appliquer à nous : c’est dans l’Enlèvement de la Redoute. « La terre était jonchée de cadavres, de toute la compagnie il ne restait debout que six hommes ; mais, f…, la redoute était prise. »

Je n’ai point cherché à affaiblir ces paroles, qui me frappèrent, comme une prédiction sinistre, au milieu des espérances qui flattaient alors tous les esprits : aujourd’hui que Kossuth est venu tristement répondre à l’appel révolutionnaire, que chacun de nous en sait un peu plus sur ce que vaut une révolution, sur les bienfaits singuliers qu’elle apporte, elles me sont revenues en mémoire. Nous avons tous, d’ailleurs, entendu de pareils discours : c’est la langue sonore et vide des trompeurs ou des dupes de la politique. « Vous n’avez pas assez de liberté ? donnez-moi la dictature pour vous faire une part plus grande. Attendez encore deux jours, deux jours seulement : je vous prépare un bonheur sans mélange ! » L’alchimie aussi, au moyen-âge, prenait votre argent et vous promettait de l’or !

Puisse la Hongrie échapper à l’anarchie qui la dévore, à la guerre civile et étrangère qui l’envahit ! A travers le voile sanglant qui, depuis la prise de Vienne, la dérobe à nos regards de ce côté de l’Europe, que les vœux formés pour sa liberté et son bonheur arrivent jusqu’à elle !


E. DE LANGSDORFF.