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et le gouvernement des sociétés modernes ; mais comme, dans sa foi au progrès, elle attend tout des réformes et ne demande rien aux révolutions, le socialisme lui attribue les vices des institutions sociales ; comme elle défend et exalte la liberté, le socialisme la rend responsable des accidens douloureux par lesquels l’homme paie tous les agrandissemens de cette faculté sublime. Supposez un sot ou un fou qui attribuerait à l’astronomie les naufrages des navigateurs imprudens, qui accuserait la médecine d’avoir inventé les maladies et la mort, qui soutiendrait que la morale est la cause des crimes qui désolent l’humanité, et vous aurez une idée des griefs que tous les socialistes, depuis Fourier jusqu’à Proudhon, ont articulés contre l’économie politique.

Entrons un instant sur le terrain même de la science, pour voir les trouées que le socialisme y a faites. Les socialistes révolutionnaires croient battre sans réplique les économistes sur trois questions : la détermination de la valeur, la théorie du produit net et la concurrence. C’est là, vous pourrez vous en convaincre par la lecture des livres de MM. Proudhon, Louis Blanc et Vidal, que viennent aboutir, sous la forme scientifique, ces ardentes questions de droit au travail, de propriété, de communisme, débattues avec tant de passion sous la forme populaire. Là est le nœud que les socialistes mettent les économistes au défi de trancher. Voyons.

La définition de la valeur est le premier problème de l’économie politique, la valeur est le premier fait qu’elle rencontre, la première idée qu’elle conçoit, le premier mot qu’elle prononce. Le produit que je crée pour le consommer, mes besoins et mes désirs lui assignent un rang dans l’échelle des objets que la nature m’invite à m’approprier ; il a pour moi une valeur. Outre cette valeur qui m’est personnelle, dont je suis pour moi-même le seul arbitre, — absolue en ce sens, — ce même produit, si je veux m’en servir pour l’échanger contre un objet que je ne peux créer ou m’approprier directement moi-même, a encore une valeur comparative, mesurée à l’objet que je désire, et dont l’estimation doit être débattue, concertée entre le propriétaire de cet objet et moi. Ainsi la valeur est à la richesse ce que la mesure est à l’étendue, ce que le temps est à la durée. L’estimation de la richesse, c’est-à-dire de tout ce que l’homme consomme et produit, ne peut se faire qu’en valeurs. Le premier problème de l’économie politique a donc été celui-ci : Y a-t-il une mesure typique fixe, invariable, des valeurs, un moyen de les estimer également dans l’échange ? Dans l’enfance de la science, les esprits novices ont cru qu’une pareille mesure pouvait exister ; c’est la terre, ont dit ceux-ci ; c’est l’or, ont crié ceux-là ; c’est le blé, ont prétendu les uns, c’est le travail, ont affirmé les autres, jusqu’à ce qu’enfin l’on ait reconnu qu’un étalon absolu de la valeur n’existait pas et ne pouvait pas exister. Qu’a-t-on fait alors ? On a étudié, décrit les deux aspects sous lesquels la valeur se présente. On a