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distingué la valeur d’usage, celle que les choses ont pour nous lorsque nous les consommons, de la valeur d’échange, celle que nous donnons aux choses lorsque nous voulons échanger des produits contre des produits. C’est la valeur d’échange qui marque aux choses leur prix, c’est-à-dire leur rang dans la hiérarchie des valeurs, déterminée elle-même d’un côté par les besoins variables de notre nature et de la civilisation, d’un autre côté par leur abondance ou leur rareté et le travail qu’elles ont coûté. En un mot, et j’emprunte cette phrase à M. Proudhon lui-même, « l’utilité fonde la valeur, le travail en fixe le rapport, et le prix est l’expression qui traduit ce rapport. » Mais il est évident que, les élémens et les coefficiens des valeurs étant variables, le prix des choses n’est que la mesure flottante et approximative de leur valeur intrinsèque.

Qu’on ne s’effarouche point de cette analyse abstraite ; on va voir que le contre-sens sur lequel repose tout le socialisme prend naissance dans ces premières obscurités de la philosophie de l’économie politique, et que, suivant la route que l’on choisit à ce point de départ de la science, on aboutit, comme le socialisme, à la négation de la propriété et à la spoliation du capital. Voici en effet comment les socialistes argumentent ; leur théorie est compendieusement exposée dans le livre de M. Vidal sur la Répartition des richesses. Des deux valeurs, quelle est, se demandent-ils, la valeur sociale ou celle qui représente la richesse réelle, effective de la société ? C’est, répondent-ils, la quantité des choses nécessaires à la satisfaction des besoins de cette société, c’est la valeur de consommation. Jusque-là ils sont dans le vrai et ne s’écartent point des principes économiques ; mais ils ajoutent que la valeur d’échange, la valeur vénale, le prix, dénature et fausse la richesse sociale au profit de ceux qui possèdent le plus et au détriment de ceux qui ont le moins ; ils prétendent que, les choses ayant un prix relatif et la comparaison des prix étant la règle des échanges, chacun cherche à augmenter la valeur d’échange de sa marchandise, c’est-à-dire à s’enrichir lui-même, au lieu d’en augmenter la valeur de consommation, qui enrichirait la masse. Enfin, l’économie politique ne pouvant étudier et comparer les valeurs qu’autant qu’elles sont définies, qu’elles ont pour ainsi dire reçu un nom dans ce vocabulaire des échanges qui s’appelle le prix courant, que lorsque, par conséquent, elles sont devenues échangeables, l’économie politique est accusée de « sacrifier l’homme à la richesse, » d’aboutir « forcément à l’odieuse exploitation de l’homme par le servage et par le salariat. » On voit donc la gravité de cette question dans notre lutte avec les socialistes ; on la sentira davantage, lorsqu’on saura que c’est de là qu’ils partent pour établir, dans leur théorie du produit brut et du produit net, que, le produit brut correspondant à la valeur de consommation et le produit net à la valeur échangeable, ce produit net que se