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partagent les détenteurs des capitaux est un vol commis au préjudice de la masse de la nation sur son produit brut, qui équivaut à la totalité de ses consommations. Il faut bien suivre ces sophismes provoquans jusque dans les ténèbres métaphysiques où ils se dérobent comme des oiseaux de la nuit.

J’ai exposé l’objection des socialistes. Quelle en est la conséquence ? C’est la condamnation et la suppression de la valeur échangeable. Peut-on imaginer une absurdité plus inouie ? Le socialisme voudrait qu’il n’y eût qu’une seule valeur ; il voudrait trouver un étalon unique et invariable des valeurs ; il voudrait, pour parler comme l’école, connaître la valeur en soi. Il le dit en ces termes, sous la plume de M. Vidal : « Le prix, c’est tout autre chose que la valeur. Une marchandise peut être vendue à sa juste valeur, elle peut être vendue au-dessus, elle peut être vendue au-dessous. Or, on demande ce qu’elle vaut et non ce qu’elle est payée ; on demande combien elle devrait être vendue et non pas combien elle est vendue. Sur ce point, la réponse des économistes se réduit à ceci : Le prix est ce qu’il est à un moment donné ; il varie même d’heure en heure. » Après cette tirade, aveu si naïf d’une inintelligence complète des élémens et des conditions mêmes de l’économie politique, M. Vidal croit avoir beau jeu contre J.-B. Say, M. Rossi et les économistes, et c’est lui qui se met à taxer les autres d’ignorance ! Or, M. Vidal retourne à l’enfance de la science. Si ses paroles ont un sens, il croit qu’il peut y avoir une valeur fixe, absolue, indépendante des variations des lieux et des temps, d’après laquelle la tarification de tous les produits serait déterminée pour l’éternité. Mais la notion même de l’échange exclut une pareille idée. Pour supprimer la valeur échangeable, ou pour la fixer invariablement, il faudrait supprimer d’abord l’échange ; car sur quoi repose l’échange ? Sur un marché consenti librement entre deux producteurs. Dire que ce marché est librement consenti, c’est dire que l’estimation de la valeur qui en résulte est nécessairement variable, accidentelle, mobile ; qu’elle est subordonnée aux besoins, aux goûts, aux caprices des deux parties contractantes. C’est ainsi que le Péruvien échangeait avec l’Espagnol un morceau d’or contre un morceau de fer. M. Vidal et les socialistes ne pourraient supprimer la valeur d’échange que dans une association où tous les produits, mis d’abord en commun, seraient répartis ensuite à chacun par une autorité directrice, et où la commutation des choses entre les membres serait interdite ; là, en effet, l’estimation des choses n’aurait de mesure que la satisfaction du besoin : M. Vidal suppose une association semblable pour définir la valeur utile ; mais encore faudrait-il que cette association n’eût aucune relation avec le dehors, sans quoi la valeur d’échange reparaîtrait aussitôt. Ici comme partout le socialisme conclut à la mort de toute liberté, à l’impossible et à l’absurde.