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pas sans effroi les destinées futures de la patrie. Il ne s’agit plus cette fois de l’effort spontané d’une nation courageuse sautant sur ses armes pour repousser un horrible guet-apens ; ce n’est plus seulement l’instinct irréfléchi d’une multitude charmée se ralliant avec un admirable entrain autour d’un nom glorieux. L’exemple est donné par des hommes expérimentés et réfléchis. Ce sont les chefs des vieux partis, ceux-là même dont les luttes fameuses ont tenu le monde entier attentif, qui s’entendent d’abord entre eux, qui vont chercher et s’adjoindre d’anciens amis, d’anciens adversaires politiques, et tous ensemble, s’adressant solennellement au pays, le conjurent, au nom du commun salut, d’oublier, comme eux, toutes les distinctions d’origine et de passé.

Voilà donc formé cet accord qu’au début de cette année la Revue appelait de tous ses vœux sans l’espérer si prochain. À nous plus qu’à d’autres il est permis peut-être d’accueillir avec joie ce symptôme nouveau de temps qui s’annonçaient plus mauvais, et de saluer avec un peu de confiance cette aurore d’un jour qui n’avait pas encore lui pour la France. Quand nous nous interrogeons nous-mêmes, nous devinons combien, pour cimenter une union si utile, plusieurs ont dû refouler au fond de leur cœur de souvenirs sacrés, de sentimens intimes et chers ; mais ces mutuels sacrifices obtenus de chacun ne font-ils pas le prix même de la manifestation ? Cette manifestation ne vaudrait pas tant, si elle eût moins coûté. En lisant ces noms qu’elle n’avait point coutume de rencontrer ensemble, la France comprendra du même coup l’imminence des périls qui ont commandé de tels rapprochemens et la grandeur des ressources inattendues mises à sa disposition. Elle saura gré à ceux qui auront ainsi voulu l’avertir à la fois et la rassurer.

Qu’on ne dise point l’avertissement inutile. Parce que, dans nos carrefours, l’ordre matériel a triomphé une première fois de la force brutale, est-ce à dire que tout soit fini, que tous les mauvais jours soient passés, que toutes les épreuves soient traversées ? L’esprit d’anarchie n’a point dit son dernier mot ni livré son dernier combat. Le Protée socialiste n’a point revêtu toutes ses formes, et il faudra plus d’une rude étreinte pour lui arracher le honteux secret de sa niaise et farouche impuissance. Peut-être, à tout mettre au mieux, le théâtre de la lutte sera-t-il déplacé. Si le ciel nous favorise, s’il n’y a plus désormais que les idées aux prises, et si les systèmes seuls se heurtent en champ clos les uns contre les autres, alors sans doute la nature des armes sera changée ; mais l’importance du conflit restera la même, et de son issue dépendra toujours le salut. Qu’on ne s’y trompe pas : de long-temps, en effet, il ne s’agira point de savoir quelle forme politique l’emportera définitivement, et sous quelle constitution éphémère s’abritera un instant notre société épuisée. La société elle-même continuera-t-elle à vivre, ou cessera-t-elle d’exister ? il n’y aura pas d’autre