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gauche, au lieu de l’avoir à notre droite. Nous tournions momentanément la face vers le nord, et nous aurions pu croire que nous revenions au Caire.

Korosko est un point assez important. Le Nil décrivant ici une grande courbe vers l’ouest, les voyageurs qui se rendent dans la haute Nubie, et qui n’ont rien à voir sur ses bords, s’en éloignent et abrégent leur route en traversant le désert. À ce sujet, Sliman nous a raconté un fait qui montre comment le gouvernement du vice-roi est aimé et obéi. Des voyageurs européens vinrent, il y a quelque temps, à Korosko, munis de firmans du pacha et accompagnes de gens à lui Ils avaient besoin d’un certain nombre de chameaux pour traverser le désert. Rien n’eût été plus facile pour eux sans la protection spéciale du pacha ; mais les firmans et les gens de sa hautesse qui accompagnaient les voyageurs firent croire qu’ils appartenaient au gouvernement, et, comme le gouvernement ne paie pas, tous les chameaux du pays disparurent et furent emmenés à trente lieues dans le désert. Il fallut attendre long-temps pour que, l’erreur étant reconnue, les chameaux fussent ramenés ; ce qui arriva dès qu’on fut bien convaincu qu’on avait affaire à des étrangers, à des infidèles : touchante confiance du peuple égyptien dans l’administration de son pays.

Je gravis une berge escarpée qui dominait le fleuve, et j’allai regarder l’entrée du grand désert, qui commence à Korosko. Le soleil se couchait sur des montagnes noires et empourprait quelques palmiers. Les chameaux d’une caravane étaient au repos parmi des tentes. Des esclaves, amenés par des marchands, étaient accroupis sous les arbres, prenant leur repas du soir. Je n’eus pas l’avantage, ainsi que mon savant ami M. Lenormant, de trouver dans un marchand d’esclaves un compagnon d’études, un Dabot, comme il s’appelait, en souvenir de ce pensionnat célèbre ou il avait fait ses classes. Ce personnage singulier, avant de se livrer à son trafic, avait exercé un métier bizarre. Le serment par la barbe étant obligatoire en justice dans les pays mahométans, et les populations au sein desquelles il vivait étant peu fournies de cet ornement, le pauvre diable de renégat, qui était mieux pourvu, louait sa barbe à ceux qui voulaient jurer par elle. Singulier fermage ! Je ne rencontrai pas un si curieux personnage parmi les marchands d’esclaves de Korosko ; mais je remarquai une très jeune fille noire, qui me parut d’une grande beauté : elle était dans la simplicité du costume Nubien, dont se scandalisait, il y a cinq siècles, le voyageur arabe Ibn-Batuta.

On sait que l’esclavage est fort doux en Orient. Les mœurs, qui, encore aujourd’hui ont quelque chose de patriarcal, font de l’esclave comme un membre de la famille ; elles l’y introduisent souvent tout-à-fait en lui permettant d’épouser une fille de son maître. Sa condition