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avec les colosses. De ce lieu étrange, on ne peut aller nulle part. C’est une espèce d’île étroite, bornée d’un côté par le fleuve, de l’autre par une pente abrupte, d’où se précipite comme une immense cataracte de sable. De ce côté, il n’y a pas d’horizon ; comme lorsqu’on est au pied d’un mur, il faut lever la tête pour apercevoir le ciel. Si l’on regarde vers le Nil, on découvre au milieu du fleuve un grand banc de sable blanc qui n’est habité que par des crocodiles. Par-delà, sur l’autre rive, une ligne de verdure s’étend au pied d’un rempart de montagnes brunes. Du reste, on n’aperçoit aucun vestige d’habitation humaine ; il n’y a même à Ibsamboul d’autre végétation que quelques broussailles. Serré entre le fleuve, dont les flots ont la couleur jaunâtre du désert, et le courant de sable qui s’écoule incessamment dans le Nil, on est entre deux fleuves et deux déserts.

Nous commençons par le moins grand de ces monumens ; je ne puis me résoudre à l’appeler le petit temple. Entre les six colosses qui décorent les deux côtés de la porte sont des contre-forts sculptés dans le roc aussi bien que les statues, et sur lesquels on a gravé les plus beaux et les plus grands hiéroglyphes qui existent. Il en est qui ont deux pieds de long et six pouces de profondeur. Un de nos matelots nubiens a débuté par grimper à une vingtaine de pieds, en se servant de ces lettres gigantesques comme d’échelons.

Nous allons nous mettre sérieusement à l’étude. M. Durand a déjà jeté son dévolu sur quelques figures dont il saura rendre le sentiment exquis et le charme étrange ; moi j’ai à parcourir toutes les murailles couvertes d’hiéroglyphes des deux temples, c’est-à-dire toutes les pages de ces deux volumes d’un très grand format, d’une impression assez ancienne et d’une fort belle conservation. Nous avons commencé par une revue générale faite aux lumières. Je viens de voir les deux temples éclairés par nos machallahs. Je n’ai voulu me laisser arrêter par la séduction et la curiosité d’aucun détail pour être tout entier à l’effet des tableaux étincelant sous les vives lueurs du bois résineux. La lumière mobile qu’on promène sur les bas-reliefs peints fait ressortir avec une grande puissance les figures de ces étonnans bas-reliefs, les têtes d’épervier, de bélier, de chacal, de tous ces animaux sacrés dont les Égyptiens savaient reproduire l’aspect, le port, le caractère spécifique, avec une fidélité qui charme le naturaliste, tout en leur laissant cependant je ne sais quel caractère étrange et divin. Cette clarté fait resplendir la grande figure de Ramsès s’élançant d’une enjambée héroïque sur le corps du guerrier qu’il va immoler tandis qu’il foule du talon un autre ennemi, — l’immense élan de ses coursiers, les énergiques et sombres images des vaincus ; enfin elle fait apparaître, dans toute la grace de leur pose et de leur expression, ces figures de reine d’une simplicité et d’une bizarrerie si élégantes, et qui ont un air tout ensemble si primitif