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divinité. Elle se montre donc en toute chose presque l’égale de l’époux, qui semble avoir mis un soin attentif, et que j’oserai appeler délicat, à multiplier, sous différens aspects et en divers costumes, la figure de celle que la légende dictée par Ramsès appelle la royale épouse qu’il aime, ce qui est assez gracieux et assez galant pour des hiéroglyphes, du reste, la reine est charmante, et le spectateur ne se lasse pas plus de retrouver partout son image que le Pharaon ne s’est lassé de la reproduire. Quelques autres détails de la décoration du temple expriment l’idée de l’égalité conjugale, idée en général si étrangère à l’antique Orient, mais qui ne le fut point à l’Égypte. Ainsi, sur un des piliers du temple, le dieu Chons est représenté tenant à la main le signe de la vie divine, deux fois répété sans doute pour donner à entendre que le dieu destinait le bienfait de la vie céleste aux deux époux. Sur un autre pilier, Thot (Hermès), celui qui compte les années des règnes sur les dents dont son sceptre est crénelé, tient à la main deux de ces sceptres, dont les entailles figurent les années que les dieux accordent aux rois. Les deux sceptres ne sont pas d’une égale grandeur, et ils ne devaient pas l’être : les destinées les mieux unies ne finissent pas le même jour ; mais rien n’indique auquel des deux époux la plus longue vie est réservée.

Telle est, selon moi, l’idée ou plutôt le sentiment qui a présidé à la dédicace de ce temple et lui donne une physionomie à part. C’est ce sentiment conjugal, accompagné d’une courtoisie imposante, que Racine a prêté à Assuérus, lorsque, sortant de sa majesté presque divine, il touche Esther éperdue de son sceptre d’or et lui dit : Ma sœur !

Entre le petit temple et le grand est, comme je l’ai dit, un fleuve de sable qui, glissant sur un escarpement, coule sans cesse vers le Nil. On ne peut tenter de cheminer sur cette nappe toujours mobile, et c’est en enfonçant jusqu’à mi-jambe dans le sable qu’on arrive au grand temple, creusé aussi dans le roc. Les colosses assis, auprès desquels ceux du petit temple ne méritent guère ce nom, sont adossés à la montagne, dans laquelle ils ont été taillés, et dont ils ne sont pas détachés. Ces colosses sont des portraits gigantesques de Ramsès-le-Grand. Chacun des géans émerge de plus en plus du sable accumulé autour d’eux à mesure qu’on se rapproche du rivage. Cet aspect est d’une majesté extraordinaire. On est en face de ces grandes figures, entre le Nil roulant au fond de son lit abrupt et les rochers noirs qui se dressent au-dessus du sable jaune. C’est une sorte de tête à tête étrange dans la plus profonde solitude. La halte qu’on fait sur le Nil, à Ibsamboul, est une halte au désert.

Si l’on entre dans le grand temple en pénétrant au sein de la montagne où il est creusé, on voit d’abord devant soi une pente rapide formée par le torrent de sable qui s’est engouffré là silencieusement